« Hors collection »

  • Dersou Ouzala
  • Tamir aux eaux limpides (La)
  • Julien, la communion du berger
  • Lettres aux arbres
  • 100 Vues du Japon (Les)
  • Légende des Pôles (La)
  • 100 Objets du Japon (Les)
  • Chemins de Halage
  • Vivre branchée
  • Solidream
  • Cap-Vert
  • Voyage en Italique
  • Esprit du chemin (L’)
  • Testament des glaces (Le)
  • Un rêve éveillé
  • Pouyak
  • Œuvres autobiographiques
  • Périple de Beauchesne à la Terre de Feu (1698-1701)
Couverture
Janvier 1700 :

« Description des sauvages patagons qui habitent le détroit de Magellan
Les habitants de ce détroit ont le visage et le nez larges, la bouche grande, les lèvres grosses, les yeux petits, les cheveux noirs, rudes, coupés sur la tête et devant les yeux en manière de couronne ; ils sont d’une couleur olivâtre, d’une taille médiocre et bien robustes. Ils se peignent la face et les autres parties du corps de blanc et de rouge, se mettent des ailes d’oiseaux autour de la tête, des colliers de petites coquilles au cou pour ornement. Quelque froid qu’il fasse ils n’ont point d’autres vêtements que des peaux de loups marins qui leur couvrent les épaules et le reste du corps jusqu’aux genoux comme un petit manteau, tant hommes que femmes et enfants. Ils n’ont aucune demeure assurée, vont et viennent de côté et d’autre suivant leur fantaisie dans des petits canots d’écorce où il y a toujours un petit feu au milieu ; chaque famille a son canot, savoir père, mère et enfants qui n’ont point encore de femmes, dans lesquels ils portent tout ce qui leur est nécessaire. Là où la nuit les prend, ils couchent ; s’il n’y a point de case de faite, ils en font de cette manière : l’homme plante huit ou dix petites gaules en cercle, dont il rabat les bouts les uns par-dessus les autres en manière de tonnelle, l’entoure par en bas de peaux s’il en a assez, autrement met le peu qu’il en a du côté que vient le vent ; au milieu ils font un petit feu autour duquel ils couchent tous pêle-mêle sur des herbes, et à mesure que la faim les prend ils font rôtir des moules que le plus vieux d’entre eux partage à tous également.
La principale occupation des hommes et leur devoir est de faire la case, la chasse et la pêche, celui des femmes d’avoir soin du canot et de plonger les moules, oursins et autres coquillages, ce qu’elles font avec une adresse admirable deux ou trois fois le jour, en quelque temps et état qu’elles puissent être, de cette manière : elles se jettent d’abord toutes nues à la nage, se couvrant les yeux d’une main pour voir au fond les endroits où il y en a le plus ; ensuite elles plongent la tête la première à 4 et 5 brasses de fond, en croisant les jambes par-dessus les fesses si adroitement qu’il est impossible de rien voir d’impudique, au contraire des hommes qui n’en font aucune façon, ni même de faire leur nécessité partout où ils se trouvent et où le besoin les prend comme des bêtes ; ces femmes reviennent un moment après et apportent des brassées de moules et quelquefois des roches à quoi elles tiennent, qui pèsent plus de cent livres ; lorsqu’elles sont dans des endroits où il y a peu de coquillage, elles prennent à leur bouche un petit panier de jonc et ne reviennent point du font qu’il ne soit plein, et aussitôt reprennent leurs peaux et courent au canot ou à la case pour se chauffer.
Ils font la chasse à la baleine de cette manière : ils vont cinq ou six canots ensemble et lorsqu’ils en ont trouvé une ils la poursuivent, la harponnent avec de grandes flèches qui ont le bout qui entre, d’os ou de pierre à fusil taillées fort industrieusement, ensuite la laissent perdre son sang et quand elle est morte, la marée l’échoue sur la côte où ils la vont chercher quelques jours après, l’un du côté et l’autre de l’autre. Le premier canot qui la trouve fait de grosses fumées pour avertir les autres, qui s’y rendent et en emportent chacun leurs provisions qu’ils mangent toute crue, chair et lard, ce qui les rend si puants qu’à peine on les peut souffrir. Ils prennent les loups marins et les loutres avec leurs chiens après les avoir percés de quelque flèche, de même les oiseaux ; ils se servent encore pour les prendre de filets faits de corde à boyaux, de quoi ils en font aussi pour prendre du poisson. Ils ont soin dans les belles saisons, lorsque le bois est en sève, d’en lever les écorces qui sont propres à faire leurs canots avec des coins d’os, lesquels canots peuvent avoir 15 à 16 pieds de long sur 3 de large, fort élevés en pointe des deux bouts pour parer les vagues. Ce sont les femmes qui les font, cousant ensemble ces écorces avec de la mousse entre deux, et tant d’adresse qu’ils sont étanches comme s’ils étaient tout d’une seule pièce. Ils mettent de petits morceaux de bois courbés en dedans pour les renforcer, comme des membres, avec une pierre plate au fond dans le milieu, sur laquelle ils font du feu nuit et jour.
Ils font du feu quand ils veulent avec de certaine pierre métallique, qu’ils frottent l’une contre l’autre sur une étoupe faite de raclure de bois sec qui prend facilement le feu qui tombe dessus sans qu’on puisse l’apercevoir. Ils se servent de mâchoires de poisson pour peignes, d’os appointis pour aiguilles, de boyau pour fil, de pierres taillées pour haches et couteaux, de joncs nattés pour attacher leurs canots au bord de la mer et des rivières, de morceaux de coquilles de moules pour polir leurs arcs, flèches, varres, manches de harpons et avirons, de tisons allumés pour couper leurs cheveux, de peaux de pingouins pour envelopper leurs petits enfants que les femmes portent sur leur dos dans un coqueluchon qui tient à leurs grandes peaux, de pots faits d’écorce pour porter l’eau, de peaux pour voiles à leurs canots.
Cependant ces peuples trouvent cette vie agréable et leur pays charmant. L’innocence et la tranquillité sont parmi eux ; ils ne sont pas plus grand maître l’un que l’autre, si ce n’est un certain devoir que les jeunes se font d’obéir aux vieux ; l’amitié qu’ils ont les uns pour les autres fait qu’ils ne peuvent être séparés l’espace de deux jours, qu’au retour ils ne se la témoignent par des embrassades et baisers pleins de tendresse. L’orgueil et l’avarice ne les travaillent point, ils ne se mettent en peine d’autre chose que de chercher à boire et à manger lorsqu’ils en ont besoin, et trois de ces pauvres gens nous firent assez connaître par les pleurs qu’ils versèrent pendant plusieurs jours à la baie Famine dans notre bord où on feignait de les vouloir garder, qu’ils ne changeraient pas cette vie ni leur pays pour toute chose au monde, car lorsqu’on les embarqua pour les ramener, la joie était peinte sur leurs visages. »
(p. 152-154)

Avertissement au lecteur (p. 35-36)
Mars 1700 (p. 220-222)
Extrait court
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