Collection « Sillages »

  • Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Samedi 5 juin 1982, premier jour sur le fleuve :

« Le grand jour. Le jour J. Chaud et superbement ensoleillé. Charley s’en était retourné : “Good luck, folks ! I hope you’ll do it !” Et le pick-up avait disparu, du côté du parc Rotary, dans un nuage de poussière, un crissement de gravier. Il nous laissait seuls avec lui. Lui ? Le Yukon. Sombre, immense, vivant, un rien menaçant. “The Great Waterway”, comme l’avaient baptisé autrefois les Indiens, roulait sa grisaille après n’avoir été, si longtemps, qu’une arabesque bleutée sur la carte. Une simple ligne si souvent parcourue du doigt que, de mémoire, nous aurions pu en refaire le dessin : droite en direction du nord-ouest, elle passait par les petits cercles noirs de Dawson, d’Eagle, de Circle. La ligne mince s’évasait ensuite en un entrelacs d’îles, de bras, de lacs et de marécages : les Yukon Flats. Fort Yukon, au confluent du Yukon et de la Porcupine, un peu au-dessus du cercle polaire arctique, marquait le point septentrional de la course du fleuve. Il s’incurvait alors vers le sud-ouest, glanant au passage d’autres arabesques bleutées : la Tanana et la Koyukuk. Là, il était proche de la mer de Béring. On s’attendait à ce qu’il coure s’y jeter. Mais il plongeait plein sud. Il ignorait la mer et poursuivait sa longue escapade jusqu’à un ultime sursaut en direction du nord-ouest. Il ne résistait plus et finissait par rencontrer la mer de Béring et donc l’océan Pacifique. Quelle ironie ! Le Yukon prenait naissance à moins de trente kilomètres de Lynn Canal, un long et étroit ruban d’océan Pacifique au pied de la piste Chilkoot, toutefois il coulait capricieusement sur plus de trois mille kilomètres avant de se jeter au nord de ce même océan !
Épars sur la grève, des sacs, des cartons, des boîtes, tout un fourniment, un amas chaotique de bagages, déchargé à la hâte du pick-up de Charley, attendait qu’on l’ordonnât dans le canoë mis à l’eau. Superbe, ce canoë ! Un magnifique Coleman flambant neuf à la large coque rouge brique, à la carlingue, aux plats-bords et aux garnitures en aluminium. Idéal pour la longue randonnée que nous nous proposions d’entreprendre : une capacité de chargement importante, un poids de trente-six kilos et une longueur de cinq mètres vingt – plus un canoë est long, mieux il réagit à l’action de la pagaie et continue sur son erre. Un excellent canoë de randonnée. C’était notre sentiment, partagé par P. Rosager, qui était le représentant de Coleman International à Paris. Notre ambitieux projet l’avait vivement intéressé : “C’est d’accord, je vais faire mon possible pour équiper votre expédition”, avait-il dit dans un français irréprochable avec un fort accent d’outre-Atlantique. Il avait tant et si bien fait que nous étions arrivés à Whitehorse, après un long détour par Londres, Anchorage et Fairbanks, avec, en poche, l’adresse de Charley, le patron de Northern Outdoors, et une lettre de recommandation pour lui qui stipulait : “Veuillez mettre à la disposition de monsieur et madame Allano un canoë 5907B719, trois pagaies, etc.” En un tournemain, tout trouva place à bord selon un agencement qui ne devait que peu se modifier au cours du voyage.
Je suppose que nous aurions dû nous sentir révérencieux, à l’instant du départ, à l’égard du fleuve qui allait être notre compagnon quotidien. Allié ou adversaire ? Au lieu de cela, l’excitation était à son comble. Au vrai, un mélange subtil de joie et d’angoisse qui nous faisait oublier toute forme de bienséance. La joie, c’était celle de quitter les pressions d’un monde d’asphalte et de béton. De l’échanger contre un décor de bois et d’eau. De vivre une aventure. L’angoisse, parce que cette dernière allait comporter quelques risques. Et parce que nous ne savions pas trop ce qui nous attendait. Malgré nos nombreuses lectures et malgré le discours du sergent-chef de Whitehorse – peut-être un brigadier-chef : je ne m’y connais guère en galons de la Royal Canadian Mounted Police : “Bon, fit-il après avoir posé toutes sortes de questions sur notre équipement, vous avez l’air de connaître votre affaire. Mais mon devoir, c’est de vous prévenir des risques que vous courrez en brousse. Vous savez, c’est pas une promenade de santé. Chaque année, y a des morts sur les rivières. Même un Français, l’année dernière. Je n’sais plus son nom. Bon. Vous, vous voulez descendre le Yukon. Bien. Vous savez qu’il y a des rapides ? Et que c’est dangereux ?” Il fit une pause. Son regard nous fixa longuement l’un et l’autre. Il enchaîna :
“Ça n’a pas l’air de vous impressionner, hein ? Bon. Mais y a aussi les ours. Vous avez une arme ?
— Non. Est-ce vraiment indispensable ?
— Ben, moi, je ne m’aventurerais pas en brousse sans un fusil. Enfin, je ne peux pas vous empêcher de partir. Alors, bonne chance ! Et rappelez-vous : prenez les rapides bien à droite. C’est le passage le plus sûr. »
(p. 9-11)

Lundi 5 juillet, trente et unième jour (p. 151-154)
Samedi 21 août, soixante-dix-huitième jour (p. 326-328)
Extrait court
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