Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
L’uma d’Alimoi :

« Le ronron du pong pong à la tombée du jour, dans un ciel maintenant dégagé, a dû rassurer les gens du clan Saeggekoni d’Alimoi. Deux femmes et plusieurs enfants ont accouru, excités par notre arrivée, visiblement heureux de revoir leur fils, mari et père. Gervasius rentre, sain et sauf. L’accueil est aussi chaleureux et spontané pour moi, apparemment sans véritable étonnement de leur part. Juste de la joie. La mère et la femme de Gervasius enveloppent la main que je leur tends dans leurs paumes câlines et me serrent un court instant dans leurs bras en me souhaitant la bienvenue : “Anaileuita”. Un choc de bonheur. Je débarque dans un monde à mille lieues du mien et une vieille femme tatouée aux seins nus et sa bru en soutien-gorge blanc, aux sourires épanouis, m’embrassent pleines d’affection comme si elles retrouvaient un membre de leur famille. Les enfants paraissent tout aussi contents de mon arrivée. Ils me touchent la main, me caressent l’avant-bras.
Il ne me reste plus qu’à les suivre chez eux, au pas de course sous cape et sac au dos. Pas moins de 200 mètres à déraper sur les lames de sagou et les tiges de bambou, un revêtement local pour sentier boueux… puis à franchir, sans ramasser une bûche, les cinq marches taillées dans un tronçon de bois posé au bord de la terrasse d’entrée de la grande maison commune, l’uma, longue hutte en palmes, haute d’environ 5 mètres, isolée dans une éclaircie de forêt. Seconde surprise après l’accueil chaleureux. Je pensais arriver dans un petit village de brousse et tombe sur cette habitation unique en tenue de camouflage. Et je ne suis pas au bout de mes étonnements.
Passé la terrasse d’entrée, mes hôtes m’invitent aussitôt, à peine le temps de poser mon sac, à m’avancer dans une première salle, un espace assez vaste, ouvert à mi-hauteur des deux côtés. Un vieil homme d’un âge incertain, presque nu et légèrement voûté, sorti de l’obscurité d’une seconde pièce située au fond, m’apparaît alors dans un encadrement orné de crânes de singes et de massacres de cervidés : corps ligneux tracé de lignes bleues, simplement vêtu d’un cache-sexe végétal (kabit) et d’une ceinture rouge, cheveux longs retenus par un bandeau de petites perles, assorties à des colliers et à des bracelets jaunes et orange portés aux poignets et autour des bras. Il me sourit tendrement et me prend les deux mains dans les siennes. Des doigts longs, que je sens solides et chauds.
Il se nomme Aman Beili, “père de Si Beili”, autrement dit de Gervasius. Entre ses joues creuses, sa lèvre inférieure, presque deux fois plus large que la supérieure, a tendance à s’affaisser et ses petits yeux plats, retirés à l’écart de pommettes saillantes, émettent un regard légèrement brouillé. Curieusement, son visage paraît peu ridé. Sa peau cuivrée doit être souple, élastique. Elle adhère à une belle musculature longiligne irriguée de veines généreuses. Seuls les genoux varus, les pieds et les fesses sont tannés et calleux. Son visage est paisible, plutôt bon et rassurant. Un corps bien utile en apparence, bel outil à peine usé, juste poli par les âges.
En compagnie de sa femme, Bai Beili, il habite en permanence cette modeste uma. C’est donc sa famille qui me reçoit et avec laquelle je vais vivre un temps. Il a décidé de m’appeler Aman Juli (“le père de Julie”) après s’être inquiété de savoir si j’avais comme lui femme et enfants.
Bai Beili est une femme de petite taille, au corps nerveux et au torse tatoué presque toujours dénudé. Entre ses petits seins aux tétons étirés prend source une cascade de ridules qui descendent en s’élargissant vers le bas du ventre. Juste au-dessus des hanches, trois plis obliques convergent aussi discrètement vers ce bassin de vie. Dans la journée, elle n’est vêtue jusqu’aux genoux que d’une simple étoffe rouge, sorte de sarong retenu par une ceinture de ficelles et de perles. Quand il fait un peu frais, elle revêt un tee-shirt taché de moisissures.
En dépit de ses grossesses et de son âge (la soixantaine, peut-être), elle reste tonique. Son œil vif, son sourire édenté et moqueur, ses cheveux noirs et bouclés, relevés par une grosse pince en plastique rose et un cerceau blanc, lui donnent une physionomie sympathique et enjouée, un peu gamine. Habituellement, elle porte un petit anneau à chaque oreille et autour du cou quelques colliers colorés avec une clé de cadenas en pendentif, ainsi qu’un tortillon de cuivre à spirales aux poignets.
Elle est vraiment nature. Double nature même. Elle fume sans arrêt, comme la plupart des adultes mais, contrairement aux hommes qui de temps à autre s’offrent ou se font offrir des cigarettes indonésiennes de style américain, elle suce le plus souvent le courtaud et traditionnel cône de tabac roulé dans une feuille sèche de bananier. Quand elle tire à l’occasion sur une cigarette à bout filtre, cela lui donne un faux air de noceuse occidentale. Deux profondes rides en arc de cercle s’évasent des ailes du nez aux coins de la bouche à la voix éraillée et, entre les arcades sourcilières, des sillons tracés verticalement vers le front comme les rides du félidé révèlent aussi son caractère bien trempé, souligné, s’il le fallait encore, par ses nombreuses lignes de tatouage.
Le point bleu piqué au centre de sa lèvre inférieure se démultiplie en ligne droite le long du menton, de la gorge, du sternum, et descend ainsi jusqu’au nombril. Cette ligne médiane est croisée, au niveau du plexus solaire, par une branche horizontale, légèrement incurvée vers le bas, tel un balancier destiné à l’équilibre des seins. Toujours en travers du thorax, mais partant en faisceau de la pointe des épaules, trois courbes concaves et espacées forment un plastron ponctué de motifs étoilés. J’imagine une parure céleste, dupliquée, les étoiles en moins, dans le haut du dos. La simplicité de ces dessins longilignes est remarquable. Elle confère beauté et noblesse au corps. Derrière ces lignes bleues, il paraît encore plus gracile et souple. Sur les avant-bras et les mains, le tatouage devient plus complexe, comme un gant de dentelle indigo. »
(p. 39-42)

Offrandes et sacrifices pour la vie (p. 75-78)
Expédition à Simatalu (p. 237-240)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.