Collection « La clé des champs »

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Couverture
Nicolas Supiot – De la semence au fournil :

« Le “Rocher”, le nom est plutôt bien choisi pour la colline granitique au sommet de laquelle nous accédons afin de rendre visite à Nicolas Supiot. Nous sommes à une trentaine de kilomètres au sud de Rennes, à Maure-de-Bretagne, en pleine forêt de Brocéliande. On retrouve ici tout ce qui fait la beauté de la Bretagne intérieure. La pierre magnifique et imposante affleure et contraste avec la végétation luxuriante de ce beau mois de mai. Rien ne semble avoir changé depuis des décennies.
Nicolas nous accueille dans sa jolie maison couverte de vigne vierge dont l’aménagement intérieur nous plonge immédiatement dans une ambiance singulière. De grandes dalles de pierre sombre nous permettent de nous adosser alors que notre hôte nous sert un café. Pierre, bois, enduits naturels, chaque objet est empreint de noblesse. Et le bonhomme nous inspire le même sentiment. L’aventure du pain qui nous a conduits sur ses terres réserve décidément bien des surprises, et celle-ci n’est pas la moindre !
Paysan boulanger. C’est comme cela que l’on définit l’activité de Nicolas qui consiste à semer des céréales, à les cultiver, à les transformer en farine puis en pain. Lorsque Nicolas déménage au Rocher après avoir vécu, péniblement, en banlieue parisienne, l’activité agricole lui semble un objectif naturel, et il se met aussitôt à la recherche de terres pour s’installer. L’entreprise paraît désespérée car le cours du foncier rend prohibitif l’achat du moindre arpent, mais à force de persévérance, il parvient à acquérir quelques modestes parcelles dont personne ne veut. Le sol y est parcimonieux, l’accès guère pratique, mais peu importe, ce sont ses terres et il peut commencer à les travailler.
Pour ce boulanger atypique, semer les graines qu’il transformera en pain est une évidence. Commence alors un long travail de recherche sur les semences qui l’amènera bientôt à participer à la création du réseau Semences paysannes. En effet, les règles qui encadrent l’utilisation des semences et les méthodes employées pour les sélectionner ne lui conviennent pas du tout. Nicolas privilégie la “vitalité” de son pain, donc de ses semences, alors que la législation n’autorise que l’utilisation de semences sélectionnées pour répondre aux contraintes de l’industrie… Inutile de dire que les attentes de l’industrie et les attentes de la boulangerie artisanale comme celle de Nicolas sont antinomiques !
Refusant tout simplement d’utiliser les variétés hybrides et technologiques du marché, Nicolas se procure des variétés anciennes de blés de pays dont certaines ont plus de cent cinquante ans et qui sont directement issues d’une sélection fermière de la période pré-industrielle. En effet, c’est plus tard que se répandront l’hybridation et l’adaptation des semences aux procédés industriels, au détriment de leur qualité nutritive, gustative, agronomique, et de leur vigueur végétative. Il mène différentes expérimentations, sème près de cent cinquante variétés différentes et en sélectionne une dizaine qui semblent convenir. Il se met à multiplier les semences “oubliées”, qui font rapidement preuve d’une forte vigueur et d’une étonnante adaptation aux conditions de son terroir pourtant ingrat. Un réseau de producteurs locaux se constitue afin d’étendre cette expérience et d’en confirmer les résultats grâce à un travail de groupe rigoureux.
Dans le même temps, Nicolas commence à boulanger. Avec sa femme Véronique et plusieurs amis, il fabrique son propre four et développe un savoir-faire depuis le champ jusqu’au fournil ! Il moud lui-même son blé à la meule de pierre et le transforme en pain. Les résultats sont étonnants ; pourtant, d’après la science officielle, son blé n’est pas panifiable, car trop pauvre en gluten ! Or le pain lève, et plutôt bien ! Il est vendu avant même d’être fabriqué. Nicolas nous précise qu’un blé est en général considéré comme panifiable par les instances officielles à partir d’un taux de 11 % de protéines insolubles (gluten). Le sien n’en contient pas autant. De plus, la force boulangère (indice de Zeleni) des blés actuels est d’environ 220 alors qu’au début du XXe siècle, elle était de 50. Si l’on s’en tient donc aux instances officielles, avant l’ère industrielle, personne ne mangeait de pain puisque les blés, contenant moins de gluten, étaient impossibles à panifier ! La science appliquée à l’industrie prendrait-elle quelque liberté avec l’histoire ?
L’orientation choisie par les semenciers s’explique par le fait que les procédés industriels qui visent à obtenir un pain très blanc et très levé maltraitent les glutens. Ils ont donc amené les sélectionneurs à ne travailler que sur des variétés de blé extrêmement riches en gluten, qui permettent à la farine d’en conserver suffisamment après un cycle de transformation particulièrement destructif et oxydant. Pourtant, à l’heure où les intolérances au gluten sont de plus en plus courantes, certains clients de Nicolas qui ont ce type d’allergie supportent très bien son pain ! Y aurait-il des bons et des mauvais glutens ? Ce qui est sûr, de l’avis de nombreux diététiciens, c’est que le pain blanc moderne, issu du processus industriel, composé d’une farine oxydée et complétée d’additifs afin qu’il présente une tenue et des arômes commercialisables, n’est d’aucun intérêt nutritionnel et serait même potentiellement allergisant…
Certains scientifiques et chercheurs de l’INRA s’intéressent d’ailleurs de près au travail de Nicolas tant ses résultats étonnent. Imaginez, des glutens non allergisants, des grains de blé qui donnent jusqu’à 70 épis par graine semée, des épis qui montent jusqu’à 1,80 mètre sans verser ! Le problème, c’est que le système d’homologation des semences en vigueur en France et en Europe rend illégale l’utilisation de semences non cataloguées. Le coût d’enregistrement, déjà prohibitif, d’environ 15 000 euros par semence proposée s’accompagne d’un référencement selon les critères “DHS”, de distinction, d’homogénéité et de stabilité. Ce regard purement mécaniste posé sur le vivant est déjà choquant. Le vivant est-il stable ? Homogène ? Non ! La propriété essentielle du vivant est sa capacité à se reproduire, jamais à l’identique. La santé d’un écosystème tient à sa perpétuelle évolution et au rééquilibrage permanent de chacune de ses composantes. C’est ainsi que depuis des millénaires les paysans adaptent leurs semences aux spécificités de leurs terroirs, ce qui leur permet de résister naturellement à des déficits hydriques, à des parasites, ou à d’autres contraintes climatiques locales. En un mot, voilà notre Nicolas en campagne pour permettre aux paysans de semer, d’échanger, de vendre, d’utiliser des semences de variétés anciennes en toute légalité.
Cette rencontre provoque en nous une sorte de révolution intérieure, comme si un voile de brume se dissipait et que nous y voyions enfin clair. On parle beaucoup des pratiques agricoles mais trop rarement des semences alors qu’en réalité, l’essentiel réside dans le potentiel génétique qui est semé : les graines ! Les enjeux sont majeurs. Tous les fruits, légumes et céréales que nous consommons, biologiques ou non, sont soumis à ce fameux catalogue des semences – et donc aux critères DHS –, qui recense des “clones” plutôt que des “variétés”.
Les semences paysannes, réponse à des pratiques modernes pour le moins contestables, sont un fabuleux espoir pour les agricultures vivrières au Nord comme au Sud. Elles ouvrent la possibilité d’une grande autonomie des populations et pourraient constituer la base de leur souveraineté alimentaire. »
(p. 28-33)

Hugues et Marie-France Lataste – Une histoire de fromages (p. 44-49)
Anne-Marie Lavaysse – Une vache dans les vignes (p. 62-67)
Extrait court
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