La vie romantique :
« La dix-neuvième heure venant de sonner, les portes des grands magasins étaient déjà fermées. Par acquit de conscience, Catherine Joliot longea leurs célèbres vitrines. Des enfants tenant la main de leur père ou de leur mère s’émerveillaient de ces lutins automates accomplissant de façon cadencée une gestuelle répétitive au sein de paysages féeriques, tandis que sur le reste du trottoir zigzaguaient, comme au stand des autotamponneuses, des centaines de personnes habillées de façon élégante et chargées de fleurs ou de nourriture pour fêter le réveillon. Catherine Joliot avançait péniblement.
Arrivée à l’angle de la rue du Havre, elle traversa le trottoir et descendit la rue Auber jusqu’à la place de l’Opéra.
Renforcée par des rafales de vent, la neige fouettait sa tête et l’obligeait même à fermer son parapluie ; le visage baissé vers le sol blanchi, elle avançait de plus en plus lentement.
Quand elle atteignit l’Opéra et son parvis débordant de spectateurs impatients, elle aperçut son mari.
Le torse bombé, la tête haute, il semblait défier les bourrasques neigeuses et le palais Garnier. Par le regard, il traversait la façade, le grand escalier de marbre, le grand vestibule, la rotonde du Glacier, le foyer des Mosaïques, le Grand Foyer, les salons de la Lune et du Soleil, les cinq étages de la grande salle à l’italienne avec ses fauteuils en bois teinté de noir et de velours rouge capitonné.
Il était aveuglé par la lumière des projecteurs.
Le théâtre avait disparu.
Près des fleuves, des forêts, des rochers, en compagnie d’une sylphide, Bernard Joliot dansait.
Pour le protéger du vent et du froid, Catherine Joliot se serra contre son dos et l’étreignit comme elle aurait étreint un enfant malheureux.
Depuis longtemps, Catherine et Bernard Joliot ne parlaient plus de l’accident. À quoi bon ? La voiture de sport qu’il avait cru pouvoir dominer avait brisé sa jambe et sa carrière de danseur étoile.
Pour la protéger du vent et du froid, Bernard Joliot se retourna et serra son épouse contre sa poitrine. Il l’embrassa sur le front.
Le parvis et le perron se vidaient. Les spectateurs entraient dans l’Opéra. Bientôt commencerait le dernier ballet de l’année.
Le visage enfoui dans le manteau de son mari, Catherine Joliot sanglotait : elle aurait tant aimé pouvoir lui offrir deux billets pour ce spectacle.
Bernard Joliot la cajolait.
Sur le parvis couvert d’une neige rendue boueuse par le piétinement des spectateurs, les vieux époux s’étreignaient. Comme à leurs débuts, ils murmuraient des “je t’aime” et des promesses que dès le lendemain ils oublieraient.
Grâce à une perturbation atmosphérique donc, après cinquante ans de mariage, Catherine et Bernard Joliot s’offrirent, à mon avis, le meilleur cadeau d’anniversaire. »
Recommencer (p. 11-13)
La demande (p. 25-27)
Extrait court
« La dix-neuvième heure venant de sonner, les portes des grands magasins étaient déjà fermées. Par acquit de conscience, Catherine Joliot longea leurs célèbres vitrines. Des enfants tenant la main de leur père ou de leur mère s’émerveillaient de ces lutins automates accomplissant de façon cadencée une gestuelle répétitive au sein de paysages féeriques, tandis que sur le reste du trottoir zigzaguaient, comme au stand des autotamponneuses, des centaines de personnes habillées de façon élégante et chargées de fleurs ou de nourriture pour fêter le réveillon. Catherine Joliot avançait péniblement.
Arrivée à l’angle de la rue du Havre, elle traversa le trottoir et descendit la rue Auber jusqu’à la place de l’Opéra.
Renforcée par des rafales de vent, la neige fouettait sa tête et l’obligeait même à fermer son parapluie ; le visage baissé vers le sol blanchi, elle avançait de plus en plus lentement.
Quand elle atteignit l’Opéra et son parvis débordant de spectateurs impatients, elle aperçut son mari.
Le torse bombé, la tête haute, il semblait défier les bourrasques neigeuses et le palais Garnier. Par le regard, il traversait la façade, le grand escalier de marbre, le grand vestibule, la rotonde du Glacier, le foyer des Mosaïques, le Grand Foyer, les salons de la Lune et du Soleil, les cinq étages de la grande salle à l’italienne avec ses fauteuils en bois teinté de noir et de velours rouge capitonné.
Il était aveuglé par la lumière des projecteurs.
Le théâtre avait disparu.
Près des fleuves, des forêts, des rochers, en compagnie d’une sylphide, Bernard Joliot dansait.
Pour le protéger du vent et du froid, Catherine Joliot se serra contre son dos et l’étreignit comme elle aurait étreint un enfant malheureux.
Depuis longtemps, Catherine et Bernard Joliot ne parlaient plus de l’accident. À quoi bon ? La voiture de sport qu’il avait cru pouvoir dominer avait brisé sa jambe et sa carrière de danseur étoile.
Pour la protéger du vent et du froid, Bernard Joliot se retourna et serra son épouse contre sa poitrine. Il l’embrassa sur le front.
Le parvis et le perron se vidaient. Les spectateurs entraient dans l’Opéra. Bientôt commencerait le dernier ballet de l’année.
Le visage enfoui dans le manteau de son mari, Catherine Joliot sanglotait : elle aurait tant aimé pouvoir lui offrir deux billets pour ce spectacle.
Bernard Joliot la cajolait.
Sur le parvis couvert d’une neige rendue boueuse par le piétinement des spectateurs, les vieux époux s’étreignaient. Comme à leurs débuts, ils murmuraient des “je t’aime” et des promesses que dès le lendemain ils oublieraient.
Grâce à une perturbation atmosphérique donc, après cinquante ans de mariage, Catherine et Bernard Joliot s’offrirent, à mon avis, le meilleur cadeau d’anniversaire. »
(p. 159-161)
Recommencer (p. 11-13)
La demande (p. 25-27)
Extrait court