Interviews


Bivouac dans un chêne – Vosges (France)
Année 2003
© Rémi Caritey

Rémi Caritey – Toucher du bois
propos recueillis par Marine de Bouillane de Lacoste

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Où plongent les racines de votre passion pour la forêt ?
Dans l’enfance, naturellement. La forêt vosgienne était si accessible, si présente aux abords de mon village natal ! C’était un lieu de silence et de jeu, solitaire ou fraternel, et quelquefois un écureuil me faisait la grâce de récompenser un affût matinal. Un lieu où expérimenter, où grandir, isolé du monde des adultes. Mais ma passion s’est cristallisée autour des récoltes de graines forestières. Travailler en forêt et y vivre plusieurs mois par an, découvrir le paysage qu’offrent des cimes agitées par le vent, ou se mettre en danger au cours d’une escalade : j’ai découvert là des émotions qui me semblent essentielles et par lesquelles je me suis construit. La forêt m’apparaît comme étant le lieu privilégié, parce que facilement accessible, d’une irremplaçable liberté.

Comment la forêt vous invite-t-elle à voyager ?
J’aimerais revoir, au Sénégal, les filaos du cap de Joal-Fadiouth. J’aimerais en écrire les carnets, tout comme Francis Ponge a écrit ceux du pin dans La Rage de l’expression. Le paradoxe de cet arbre, un résineux des tropiques utilisé pour fixer les dunes, c’est qu’il me renvoyait, depuis une plage africaine, aux souvenirs des étés passés sous les sapins, en France : par l’odeur de sa résine, par le son de la brise dans ses aiguilles, par le léger couvert qui isolait du village et de la chaleur, et se perdait dans le marigot et l’océan. Pour moi, en forêt, le voyage est souvent imaginaire, intérieur, à travers le temps, à travers les légendes, les présences magiques, par la force d’évocation de certains sous-bois qui relient à des pages d’histoire ou à d’autres continents et à la vie de communautés forestières lointaines. Je m’attache aujourd’hui à la dimension culturelle de la forêt plutôt qu’à son exotisme, même si m’immerger dans une forêt inconnue est un plaisir toujours vif.

Avez-vous un arbre favori ?
À chaque lieu, à chaque situation, à chaque rêve, à chaque journée, un arbre est attaché. Si je cherche un monument, je trouve le séquoia. Celui de Moras-en-Valloire, ou celui du château du village de Saulxures-sur-Moselotte, où j’habite. Si je cherche un rebelle, le mélèze est un bon candidat. Le frêne est Yggdrasil, arbre sacré et axe du monde pour les Vikings. Il est aussi, selon le calendrier celtique, mon arbre tutélaire. Mais j’envie la souplesse du saule. En Casamance, je me désaltère avec la sève fermentée du palmier, je me nourris avec le fruit du rônier, mais c’est le fromager qui m’émerveille, et le baobab qui donne un cap à mes errances. C’est cela que j’aime dans les arbres : par leur magnifique diversité, ils sont une source infinie de découvertes et d’émotions. L’arbre de rencontre est mon favori !

Quel rôle tient encore la forêt dans nos vies, souvent urbaines et déconnectées de la nature ?
Cela serait comme une réserve. On parle d’ailleurs de poumon, ce qui n’est qu’à moitié vrai en ce qui concerne le cycle de l’oxygène et du carbone – les océans y jouent aussi un grand rôle – mais plutôt juste d’un point de vue métaphorique : dans un monde envahi de rationalité, les forêts contiennent encore la part de mystère qui nous aide à respirer. Notre civilisation s’est construite à partir des forêts, en les détruisant jusqu’à ce que l’avènement des énergies fossiles permette enfin de régénérer les surfaces forestières. Est-ce à dire que l’homme civilisé ne devrait retourner en forêt que dans le cadre balisé de ses loisirs ou d’une exploitation industrielle ? Je crois qu’à condition de quitter les sentiers battus la forêt peut donner la chance de retrouver en nous une part salvatrice de l’innocence originelle. Celle qui pourrait nous donner la modestie de vivre dès à présent en accord avec les ressources réelles de notre planète, et non de poursuivre une folle fuite en avant.

Un auteur ou un artiste a-t-il su vous transmettre l’émotion que vous procurent les frondaisons ?
Je garde un souvenir ému de la lecture de Walden ou la vie dans les bois. En faisant rimer forêt et simplicité matérielle, Henry-David Thoreau remplace le cloître monastique par la futaie, et la méditation par l’ode à la nature. À quoi s’ajoute le refus militant de ce qui, dans l’organisation sociale, ne favoriserait pas notre liberté et notre enrichissement intérieur. Chez moi, cela a fait tilt ! Plus récemment, je me suis plongé dans le cycle de La Forêt des Mythagos et j’ai apprécié la façon dont Robert Holdstock y mêle les profondeurs de l’inconscient à celles de la forêt : je crois que c’est une dimension première des sylves, et ce que la psychanalyse exprime sous une forme un peu sèche, cet auteur me l’a fait vivre. Mais je vous invite également à découvrir les arbrassons de José Le Piez. En concert, ils me donnent le sentiment d’être transporté au cœur de l’arbre.
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