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Les volcans de Java, en Indonésie
par
le mercredi 6 février 2008 à 20 heures 30


Considérée comme un paradis exotique par les agences de voyage, l’Indonésie est souvent réduite à Bali. C’est à peine si les circuits touristiques proposent un détour par les environs de Yogyakarta, au centre de Java, ou par le pays toraja, au sud de Sulawesi. Devenue dans les années 1990 une des principales destinations touristiques au monde, l’Indonésie est paradoxalement restée un pays mal connu des Occidentaux. Pays de superlatifs, elle est formée de plus de 13 660 îles, ce qui en fait le plus grand archipel du monde ! Bon nombre de ces îlots sont inhabités, mais certaines îles comme Java ou Bali ont des densités de population record. L’archipel est peuplé par plus de 200 millions d’habitants, dont 80 % s’entassent à Java, sur une superficie qui atteint à peine un tiers de celle de la France. Quatrième pays au monde en ce qui concerne sa superficie, mais aussi sa population, ce « pays archipel » est un patchwork de peuples, de coutumes et de langues artificiellement réunis par la colonisation hollandaise et soudés derrière le slogan national Bineka tunggal ika, « l’unité dans la diversité »…
Sur ces îles où le mot gunung, signifie « montagne » et « volcan » sont répertoriés près de cent trente volcans actifs (environ 10 % des volcans du globe). Le public connaît les plus célèbres : le Krakatoa, le Merapi ou le Tambora, qui détient le record du nombre de vies prélevées sur la planète.
Quand on quitte Jakarta, la plus grande ville d’Asie du Sud-Est, la campagne semble calme. Mais, en réalité, il y a du monde partout et le moindre village compte des milliers d’âmes. Quelques espaces naturels ont échappé à cette population dont la densité peut atteindre 900 habitants au kilomètre carré. Ces zones préservées sont en majorité associées aux parties sommitales des volcans, trop hautes pour êtres cultivées, inaccessibles et donc inhabitées, parfois très dangereuses. Avec une trentaine de volcans pouvant entrer en éruption, Java totalise la plus forte concentration de volcans actifs de l’archipel : la relation entre les hommes et ces turbulents voisins y est donc exacerbée. Les volcans font partie intégrante de la vie javanaise. Les risques sont importants et le besoin d’exorciser la peur a fait naître des légendes à l’époque où le pays était géré par des rajahs hindouistes. Aujourd’hui, malgré la conversion des Javanais à l’islam, les croyances subsistent. Le sultan de Yogyakarta, au centre de Java, est ainsi resté le gardien du démon qui hante le Merapi. Héritier d’une tradition qui s’est transmise pendant dix générations, le sultan a délégué sur le volcan un représentant, le Juru Kunci, ou « maître des clés ». Cet homme entretient une relation avec le démon du volcan et reste le seul à déceler les humeurs du monstre. À chaque éruption, il suggère ou non l’évacuation de la population.
Les techniciens des Services volcanologiques indonésiens (VSI) surveillent plus d’une soixantaine de volcans. À Java, comme sur les autres îles, les volcanologues sont sur place dès les premières heures d’une éruption. Ils gardent toujours le sourire, à l’instar des populations qu’ils côtoient, et dont ils sont issus. Mais si la vie semble si douce à Java, et la terre si fertile, c’est grâce aux volcans. Les cendres volcaniques se transforment sous le climat équatorial en des sols argileux riches en oligo-éléments. Le riz peut être récolté tous les cinq mois ; la canne à sucre, le tabac et l’hévéa en plaine, le café et le thé sur les hauteurs profitent aussi des cendres volcaniques. Même la luxuriance de la forêt pluvieuse doit beaucoup à cette manne.
Alors que les sources chaudes sont utilisées depuis longtemps en de nombreux endroits de l’île, c’est au milieu du XXe siècle que la chaleur des volcans, sous forme d’énergie géothermique, fait son entrée dans la vie des Javanais à Dieng, puis à Kamojang. Le soufre, récolté dans les solfatares, sert lui aussi depuis la nuit des temps à lutter contre les maladies de peau. Et, depuis plusieurs siècles, les Javanais utilisent une roche volcanique grise, l’andésite, avec laquelle ils ont construit des monuments comme Borobudur et Prambanan et des milliers de temples dont certains, engloutis sous les cendres ou les coulées de boue, attendent d’être redécouverts. Les volcans hantent aussi la tradition javanaise, comme le théâtre du Wayang, dont il existe deux versions : le Wayang Golek et ses marionnettes en bois, et le Wayang Kulit dont les figurines en peau de buffle sont utilisées en ombres chinoises. Dans ce dernier, une figure représente à la fois une montagne, un volcan et le sultan de Yogyakarta. Mais la dernière contribution des volcans à la société javanaise est sans aucun doute leur fréquentation touristique. Des légions de visiteurs assistent au lever du soleil sur le cratère du Bromo. Dans les solfatares du Kawah Putih, de Dieng, du Papandayan ou du Tangkubanprahu, des infrastructures permettent pratiquement l’accès du cratère aux voitures. Les volcans effraient de moins en moins les Javanais mais il en est un de temps en temps, comme le Papandayan réveillé en 2002 après plus de soixante ans de repos, qui rappelle que les volcans peuvent être dangereux. Une légende prétend que Java est installée sur le dos d’un dragon dont un des yeux serait le volcan Merapi. Chaque fois que le dragon bouge, l’île tremble et les volcans entrent en éruption. Mais nul ne sait quand le dragon se réveillera vraiment…


Frédéric Lécuyer débarque pour la première fois à Jakarta en 1989 avec, en tête, les chiffres et les superlatifs attachés aux volcans indonésiens. Il a étudié la carte avant de partir, mais, comme tout le monde, il se contente de parcourir les îles et les volcans de Java et Bali, et de faire une incursion dans le sud de Sulawesi, chez les Torajas. Ce séjour rapide dans un univers riche en sensations nouvelles est déterminant quant à la suite de ses pérégrinations. Odeurs, sons, sourires… l’Indonésie, son foisonnement de vie, le grouillement de Java le marquent profondément. Le sourire et la gentillesse des Indonésiens le rassurent et comblent son esprit curieux. À peine six mois, plus tard, en février 1990, quand la frustration engendrée par ce premier séjour conduit Frédéric Lécuyer à revenir à Java, débute son étrange relation avec l’Indonésie… Quelques années plus tard, il entreprend une étude sur les volcans du nord de Sulawesi et découvre l’une après l’autre, autant par curiosité scientifique que pour son plaisir personnel, les cinq provinces volcaniques de l’Indonésie. Aujourd’hui, après de nombreux voyage et plus de six ans passés dans ce pays, Frédéric Lécuyer a eu l’occasion de travailler avec les spécialistes du VSI, parfois dans des situations difficiles, lors des éruptions du Kelut en 1990, du Krakatau de 1992 à 1997, du Papandayan en 2002, et du Merapi de 1994 à 2006. Ce géologue et volcanologue, dont le parcours a débuté sur les volcans d’Aubrac et d’Auvergne et se poursuit depuis vingt ans en Indonésie, en Italie, à la Réunion, aux Caraïbes ou aux Philippines a soutenu un doctorat sur la relation entre le volcanisme et la tectonique active dans la région de Tondano, au nord de Sulawesi. En 1993, il tourne le film Java, cratères fertiles qui retrace la vie d’Haroun Tazieff. Il a aussi écrit plusieurs articles de vulgarisation pour la presse et participé au tournage d’émissions télévisées.





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DVD de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Java, Sur l’échine du dragon


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