À pied à travers la Mongolie (I)

Marc Alaux et Laurent Barroo ont traversé en 2001 la Mongolie d’est en ouest.


3. Quand l’asphalte s’arrête


Il est 9 heures quand l’estafette de fabrication russe s’ébranle péniblement, emportant dix-sept passagers. À son bord, hommes, femmes et enfants, avec leurs bagages, se disputent onze places que chacun cherche pour soi une heure durant. Le moindre recoin du véhicule est utilisé : un pied se glisse ici, un panier là, partout des habits s’entassent. Une fois calés, les corps s’apaisent. Alors seulement l’assistance prête l’oreille à la musique crachée par les haut-parleurs saturés ; au son envahissant d’un synthétiseur, la variété mongole l’emporte sur un hard-rock pourtant armé de guitares enragées. Ce traitement aura raison de nos tympans.
On évoque souvent avec un brin de nostalgie ou d’admiration l’örtön, le vieux système de poste à cheval de l’empire mongol. Créé en 1235 par Ögödeï, l’örtöö a fonctionné jusqu’en 1949, date à laquelle les moyens de transport motorisés ont pris le contrôle des pistes. « Qu’est-ce qui est très long et plus bas que l’herbe ? C’est la route », dit une devinette mongole. Aujourd’hui encore, à l’heure où seulement 2 % des 46 700 kilomètres de routes sont goudronnés, le cheval reste la fierté nationale. La première voiture apparaît en Mongolie en 1910. Et il n’existe pas de piste carrossable avant 1921. Autant dire que les premiers ponts modernes jetés sur la Tuul en 1888 furent une révolution ! Pour remédier à cette carence nuisant à l’économie de la jeune république, des mesures durent être prises. En premier lieu, il fallut aménager un réseau de pistes, à l’entretien rendu malaisé par les conditions climatiques hivernales. Dans un second temps, il fut nécessaire d’introduire l’emploi de camions pour le fret : la Compagnie des transports mongols fut créée en 1925. En 1949, le réseau routier qui reliait déjà les capitales d’aïmag (provinces) est étendu à la liaison de ces dernières aux sum (districts ruraux).
Un choc, une percussion, une éjection presque. Les mains se crispent sur les bras du voisin, les corps bondissent, les têtes sculptent le plafond. C’en est fini du bitume. Le bus s’engage sur une piste défoncée, ou plutôt sur un sillon de plusieurs dizaines de mètres de large, un canevas d’ornières s’entrecroisant, un piège pour le novice. Il reste 600 kilomètres à parcourir. Mais voilà qu’un besoin pressant se fait sentir. Une contraction abominable vous donne de subites envies d’évasion. Et la nature n’attend pas. Il faut s’échapper de cette geôle ambulante ! Déjà le passager s’imagine seul dans la steppe, planté sur ses jambes, soulageant une vessie devenue douloureuse. Mais la réalité le rattrape, le camion continue et le chauffeur bourru reste sourd à vos demandes. Foin des questions, jérémiades et supplications ! En comparaison, la dégustation de bière locale faite la veille dans un bar branché de la capitale était paradisiaque. Serrés de près par quelques étudiantes au regard humide et aux vêtements moulants, nous ignorions alors ce qui nous attendait…


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