Une méharée au Sahara



À dos de chameau en Mauritanie
De prime abord, la bête est impressionnante et capricieuse ! L’animal, pourtant, est indispensable à qui veut découvrir, comprendre le désert. Tous les peuples du Sahara – Touaregs, Maures, Toubous – ont adopté cette monture aux époques romaines, une bête qui permettra aux grandes tribus d’apprivoiser d’immenses espaces propices à la transhumance, à la pratique hauturière du rezzou
Chinguetti, septième ville sainte de l’Islam au Moyen Âge, accueille le visiteur au sortir des monts de l’Adrar. L’ancien port caravanier sur les pistes commerciales Maghreb / Soudan se mérite toujours, même si aujourd’hui l’aéroport international d’Atâr facilite les communications. Le minaret de pierres sèches du XIIIe siècle et les prestigieuses bibliothèques occupent les premières heures, celles qui précèdent la rencontre des chameliers. Leur responsable surveille ses hommes et observe les bêtes depuis le haut d’une terrasse de pisé : jamais il ne laisserait s’éloigner un petit groupe de néophytes aux mains d’une équipe locale inexpérimentée. La méharée saharienne ne s’improvise pas ! Selon une sentence kounta, au désert, on a toujours le hasard contre soi…
Les chameliers appartiennent aux tribus prestigieuses de la cité, les Laghlal et les Ida-ou-Ali. Les chameaux (au Sahara le dromadaire est systématiquement désigné par ce terme générique) sont baraqués, prêts à recevoir les charges, les provisions, les effets des participants. Pour les bagages et les réserves d’eau, une sommaire selle de bât facilite l’amarre. Les chameaux de monte supportent la rahla, la selle la plus confortable du désert africain. Bourrée d’épaisses couvertures et surmontée d’une peau de mouton, elle reçoit le cavalier, haut perché au sommet de la bosse du ruminant. Ainsi installé, le voyageur domine la situation, embrasse l’horizon d’un seul regard circulaire, se convainc – lentement mais sûrement – d’être de ce monde nomade. Le contact avec le chameau oblige les conseils, les consignes, et donc la rencontre avec l’éleveur. Ce duo nomade / dromadaire, intimement lié à son environnement, sera le garant d’une découverte privilégiée.
En route pour l’oasis de La Gueïla. Le novice, dans un premier temps, précède sa monture et marche d’un bon pas, la longe reliée au museau de l’animal. La méharée chenille entre les dunes qui menacent Chinguetti, s’emploie à cheminer sur les sols durs. La halte méridienne achevée, il faudra enfin enfourcher le célèbre vaisseau des sables. Le chameau se redresse, on pique du nez en tentant d’éviter de chuter à la renverse ! L’impression possible de mal de mer oubliée, le fier caravanier occasionnel peut à loisir contempler le paysage – hautes dunes infinies parsemées de rares touffes de sbât, de loin en loin quelques acacias rabougris –, et finalement apercevoir les dattiers de la palmeraie.
Bien sûr le visiteur étranger aide au déchargement, à répartir les charges en fonction du bivouac, à suivre du regard les chameaux qui s’éloignent, furieux d’être entravés, à la recherche d’un hypothétique pacage. Le cuisinier, habile et précis, cuit un pain sous la cendre, le guide engage le cérémonial du thé vert, thé sans menthe, âpre et sucré comme la vie saharienne. Lors des veillées, éloignées de la nuit sans lune par le cercle du feu, les calembredaines jaillissent, les rires percent l’obscurité et les échanges s’installent, les questions fusent de part et d’autre, la vie ici, la vie là-bas… Apaisé, confiant sous l’imposante Voie lactée, l’on perçoit au cœur du silence le souffle des chameaux agenouillés à deux pas, vaguement rassasiés, la mâchoire grinçant au rythme de la lente rumination. Dès potron-minet, saisi par le froid encore vif, le maître de caravane regroupe les bêtes, part à la recherche de celles qui auraient choisi l’aventure. Les chameaux blatèrent fermement à la vue des faix alignés. Un coup de main pour accélérer le mouvement, participer à la vie du camp, vérifier les sangles et la répartition périlleuse des bagages, puis en avant, nord-nord-est, vers Tanouchert et Ouadane.
Au cours de la méharée, on a le loisir d’abreuver ses montures, de cueillir l’herbe verte pour sa bête préférée, d’observer la connivence parfaite entre les chameliers et leurs animaux, le fennec qui détale, les traces laissées au petit matin par les gerboises et les lézards, les gestes économes, les petits riens qui font de cette aventure une expérience impérissable. On oublie vite l’implacable soleil, l’eau tiède, le postérieur endolori, les remugles des chameaux qui grognent, et, nostalgique des hommes et des bêtes du désert, on est prêt pour un nouveau départ !

Suggestions de visite :
• Chinguetti : les palmeraies le long de l’oued, la mosquée et la ville ancienne, les bibliothèques (Habott, El Amouni…).
• La Gueïla : oasis entourée de hautes dunes.
• Ouadane : légendaire cité caravanière perchée au sommet d’un éperon rocheux, l’embrasement du site au soleil couchant, la rencontre du conservateur Sidi Mohamed ould Abidine Sidi.

Par Jean-Pierre Valentin
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