Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Le chemin de l’Illumination ~ Préfecture d’Ehime :

« Le chemin retrouve la vallée de l’Hiji-kawa et se dirige tout droit vers le nord et la ville d’Ozu. Sur ma route, aujourd’hui, je ferai deux belles rencontres : une toute petite grenouille et une très vieille femme.
Comment ai-je vu la première ? À peine plus grosse que l’ongle de mon pouce, elle est d’un vert fluorescent et arrogant, comme pour compenser sa petite taille. Elle est posée sur un pétale de lys mauve pâle, délicatement recourbé et dentelé à son extrémité, qui forme une sorte de parasol, d’abri sur mesure, à la grenouille. Sa tête est posée sur ses pattes avant croisées, ce qui lui donne un air décontracté. Elle fait face au centre de la fleur, attendant l’insecte qui viendra, imprudemment, butiner celle-ci. Le lys pousse sur un des talus qui bordent les rizières ; il se balance doucement dans le vent. Les plants de riz, d’un vert lumineux comme s’ils étaient éclairés de l’intérieur, frissonnent dans la brise alors qu’ils pointent timidement hors de l’eau. Je m’approche tout près, la grenouille ne bouge pas, confiante ou trop affamée pour quitter son affût. Il y a là toute la beauté et la perfection de la nature.
Marcher à Shikoku, c’est bien sûr s’émerveiller de l’esthétisme des temples, du mystère qui s’en dégage, mais c’est aussi être touché par une simple grenouille sur un lys, par les pétales de cerisier emportés par le vent, par les tiges mortes des fleurs de lotus qui se reflètent à la surface d’une mare, parfaitement géométriques. C’est contempler le monde qui nous entoure dans sa beauté à la fois simple et sophistiquée, et prendre le temps de s’en imprégner et s’en nourrir.
Autre rencontre : plus loin, une vieille femme toute voûtée arrache les mauvaises herbes sur le talus bordant sa maison. Il lui est visiblement plus facile de travailler au sol que de se redresser. C’est pourtant ce qu’elle fait péniblement en nous voyant approcher avec mon ami. Aussitôt, sa figure toute fripée s’éclaire, un sourire doux illumine son visage à demi caché sous un large chapeau de paille. Elle nous fait signe d’attendre, rentre chez elle le corps cassé en deux, puis ressort, tenant dans ses mains terreuses aux articulations déformées par l’arthrite, une poignée de bonbons.
“Osettai !” dit-elle.
Elle a envie de parler, Suzuki-san traduit. Elle dit avoir 88 ans, son fils vit à Tokyo et ne vient que rarement la voir, sa fille habite une maison, deux rues plus loin, et son mari est décédé il y a seulement trois mois. Tous deux étaient agriculteurs et elle a toujours travaillé dans les champs. Elle montre de ses doigts tordus les rizières alentour dans lesquelles elle a passé sa vie pliée en deux, les terres sont maintenant louées. En l’écoutant raconter cela, je sens qu’une part d’elle s’envole vers un passé à jamais disparu, une ombre de nostalgie voile son visage. Elle affirme qu’elle a aimé sa vie, même si elle a travaillé dur. Tout est dit avec beaucoup de douceur, dans un souffle. Il lui est difficile de nous regarder longtemps, son buste plié vers l’avant la force à faire un effort important pour relever la tête. Elle est couverte de plusieurs couches de vêtements fleuris dont on se demande s’ils ne sont pas les tuteurs qui lui permettent de tenir debout. J’ai envie de la prendre dans mes bras ; il se dégage d’elle ce qu’on attend d’une grand-mère, d’une mère : de la tendresse et une force cachée rassurante, sans doute la force des gens de la terre, la force de ceux qui nourrissent les autres hommes. Nous la quittons et nous retournons souvent pour lui faire des signes de la main. Elle est toujours là, devant sa maison, relevant péniblement la tête, attendant que nous disparaissions dans le virage au bout de la rue. Que pense-t-elle à ce moment-là ? Qui suis-je pour elle ? Elle est un roc, un pilier, pas si fragile qu’elle en a l’air, et je ne fais que passer. »
(p. 155-157)

Le chemin de l’Ascèse ~ Préfecture de Kochi (p. 67-70)
Le chemin du Nirvana ~ Préfecture de Kagawa (p. 206-209)
Extrait court
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