Interviews


El Calafate – province de Santa Cruz (Argentine)
Année 2010
© Geneviève Cabodi

Stéphane Georis – Compagnon de bohème
propos recueillis par Léopoldine Leblanc

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Quelle est l’origine de votre intérêt pour Blaise Cendrars ?
C’est un metteur en scène qui m’a invité à lire cet auteur. Nous travaillions alors sur un personnage russe, une espèce de clown dégingandé que je devais jouer (je suis comédien de profession) qui arriverait à vélo de sa Russie natale. « Tiens, me dit-il, tu connais La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars ? — Non », répondis-je. Et il m’a tendu le livre. J’y suis resté accroché le temps d’une lecture à voix haute, c’est-à-dire une petite heure, debout dans la salle de travail, sans pouvoir en détacher mes yeux. Depuis, je me suis intéressé au personnage, à sa voix que j’imagine rauque et rythmée, à son style, et à sa vie de bohème perpétuelle. Sa poésie m’a ouvert les yeux sur un autre hémisphère que celui étudié à l’école. Elle est faite de voyages, de mensonges étourdissants, de violence quand il en faut, de couleurs, d’odeurs, de mise en forme nouvelle et totalement libre.

Comment vous est venue l’idée d’écrire sur lui ?
Lorsque s’est ouverte la nouvelle collection « Compagnons de route », Émeric Fisset m’a simplement demandé s’il y avait un auteur voyageur qui éveillait mon intérêt. Debout dans sa boutique, sans une seule seconde d’hésitation, j’ai dit Blaise Cendrars. Puis je me suis renseigné et me suis rendu compte que beaucoup de points nous rassemblaient, bien plus encore que je ne le croyais. À commencer par les points du globe où il s’est rendu : je suis passé à La Chaux-de-Fonds cent ans après qu’il y est né, il a joué à Bruxelles cent ans avant moi, puis nous nous sommes croisés à São Paulo, à Guarujá, sur le Transsibérien, à La Paz, à Biarritz. Tout ceci m’a donné la possibilité de décrire ces lieux de manière très précise. Il a vécu en roulotte avec un cirque (je voyage en caravane avec mes spectacles), il a visité autant de prisons que moi (en tant que visiteur), et je sens son esprit de bohème éternelle m’envahir de temps à autre.

Quels obstacles avez-vous rencontrés pour écrire cet essai biographique ?
Peut-être la rareté de certains écrits. Mais en fouillant un peu, on finit toujours par trouver ce qui nous manque. Les sources sont nombreuses : librairies spécialisées, revues, biographies… À la fondation Bodmer de Genève est exposé un exemplaire original, remontant à 1913, de La Prose du Transsibérien. C’est un carton collé de 2 mètres de long, illustré de taches colorées et constructivistes par Sonia Delaunay. Il est exposé suspendu, et on peut lire ce texte fascinant qui imite le bruit du train. Je me suis endormi face à la vitrine. Dois-je compter cette étourderie comme un obstacle ?

Hormis la postérité, qu’enviez-vous à l’auteur de Bourlinguer ?
Que pourrais-je lui envier ? Il a eu sa vie bien pleine, j’ai la mienne tout aussi foisonnante. Un bras coupé ? Non merci. L’expérience de la douleur de la guerre ? Certainement pas. La solitude éternelle ? La fuite devant les responsabilités ? Soyons clairs, il n’a pas eu une vie facile. Mais il en a tiré une œuvre fascinante. C’est peut-être là la chose que je pourrais lui envier : le talent.

Qu’a-t-il encore à nous dire sur voyage et écriture ?
J’ai l’impression (et la développe à la fin du livre en parlant des punks) que les générations actuelles ont été influencées, consciemment ou non, par cette espèce de jouissance de la vie à pleine bouche, à pleines dents, que nous dicte Blaise Cendrars. Le désespoir aidant peut-être, la vision d’un avenir fichu d’avance nous susurre à l’oreille : « Profite du jour, profite du voyage, profite des facilités actuelles pour dévorer ce qui passe à ta portée. »
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