Interviews


Marseille – Bouches-du-Rhône (France)
Année 2010
© Michèle Giovannangelli

Christophe Apprill – Par la danse, le sentiment d’exister
propos recueillis par Léopoldine Leblanc

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L’origine de votre amour pour le tango ?
À 20 ans, étudiant à Paris X, j’ai éprouvé un impérieux besoin de danser. Sur le campus de l’université se trouvait un centre sportif ; c’est là que j’ai découvert plusieurs genres de danse : le jazz, la danse contemporaine et les danses de salon, avec des professeurs extraordinaires, comme Katia Bohin et Maryvonne Ganne. À la suite du spectacle Tango Argentino auquel j’ai assisté au Châtelet, je me suis intéressé particulièrement au tango. C’est en 1985, avec Lia Nanni, que j’ai pris ma première leçon de tango argentin au Centre de danse du Marais.

Quelle motivation vous a poussé vers l’enseignement du tango alors que vous étiez danseur dans une compagnie ?
Peu après mes premières leçons, je suis parti vivre deux ans à Brazzaville au Congo. En plus d’apprendre et de pratiquer la rumba congolaise, je voulais continuer de danser la valse, le tango, le fox-trot, le rock… J’ai proposé au directeur du Centre culturel français de l’époque de donner des cours, ce qu’il a accepté, en étant le premier inscrit. De retour en France, j’ai continué de me former au tango. La rencontre avec Catherine Berbessou et Federico Rodriguez Moreno a été décisive. En travaillant avec eux, j’ai découvert des potentialités corporelles et énergétiques nouvelles. Lorsqu’ils ont créé leur premier spectacle associant danse contemporaine et tango à la Biennale de la danse en 1996, je brûlais d’envie d’y participer. Mais étant professeur d’histoire-géographie, il m’était impossible de me libérer. En 1998, après m’être mis en disponibilité, j’ai appris qu’ils cherchaient deux danseurs. J’ai passé l’audition, ai été pris et ai commencé le travail de création avec la compagnie, les tournées, etc.

Comment conjuguer le regard du danseur et celui du sociologue sur les danses de couple ?
La posture du sociologue consiste à prendre de la distance afin d’effectuer un tri parmi les données subjectives. D’un point de vue épistémologique, il est tout à fait possible de réaliser une sociologie de la danse sans la pratiquer soi-même. Cependant, mon expérience de la danse, à travers différentes postures (danseur-interprète, danseur de bal, professeur ou organisateur d’événements) permet de saisir certaines subtilités de l’intérieur. Rien ne remplace l’expérience, ce qui a conduit certains courants de la sociologie à en faire un outil d’enquête. Finalement, prendre ma pratique de la danse comme objet d’étude revient à faire un va-et-vient entre les deux postures ; et donc, à interroger ma propre démarche de chercheur.

Un exemple de l’influence du tango ou de la danse en général sur votre vie quotidienne…
La pratique de la danse a orienté plusieurs de mes choix, et suscité un grand nombre de rencontres. Je me suis décidé à poursuivre mes études après la maîtrise parce que j’ai décidé de travailler sur la danse. En devenant danseur-interprète, j’ai pu me libérer d’un certain nombre d’inhibitions et revenir à la source de mes angoisses. Mais plus que l’aspect « thérapeutique », la pratique de la danse est pour moi une façon d’éprouver le sentiment d’exister, ce « sentiment de soi qui ne va pas de soi » comme le dit joliment François Flahaut. Il y a de la vie dans la danse, et beaucoup d’humanité. Cet amour de la vie et cette proximité avec l’autre me touchent énormément.

Quel artiste ou auteur est le plus à même d’incarner l’âme du tango ? Pourquoi ?
Aucun, parce qu’à mes yeux, le tango n’a pas d’âme. Lui conférer une âme, c’est le rabattre sur une forme folklorique. Contrairement à beaucoup d’autres expressions, les chansons de tango et la communauté du tango ont une fâcheuse tendance à ne s’intéresser qu’au tango. Ceux qui, comme Borges, s’en emparent avec méfiance et imagination, sont ceux qui en parlent le mieux. Les danseurs qui, à l’instar de Chicho et Pablo Verón, le bousculent sans cesse par leur virtuosité, sont ceux qui en font une danse contemporaine. Enfin, tous ceux qui partout dans le monde, en dehors de l’« argentinité » standardisée, se l’approprient, le triturent et le déforment, en privilégiant l’échange, contribuent à en faire une expression vivante.
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