Interviews


Laurence et Almila au départ du raid « Amazone de la Paix » – Ispahan (Iran)
Année 2009
© Bernard Wis

Laurence Bougault – Cavalière pur-sang
propos recueillis par Marine de Bouillane de Lacoste

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Comment le voyage à cheval nourrit-il vos autres pratiques équestres ?
Le voyage invite le cavalier expert à méditer sur ses pratiques. Ou sur une idée à la mode comme celle des pieds nus, par exemple : en Afrique, mon cheval Putsoa a parcouru 2 000 km sans fers alors que ma jument Almila a mal supporté quelques jours déferrée entre l’Iran et la France. Rien n’est bon ou mauvais en soi tant que nos actes s’adaptent au cheval. Le voyage permet de mieux connaître la psychologie et le potentiel physique des chevaux. Ces connaissances servent au débourrage ou à un dressage plus poussé car elles aident notamment à distinguer refus physique et psychologique du cheval. On apprend à mieux agir, à s’entendre avec le cheval et à reconnaître lorsqu’il a tort. La pratique équestre est une, à partir du moment où ce qu’on cherche est une entente interespèce, et non une simple utilisation.

Par quel processus le cavalier au long cours se mue-t-il en centaure ?
Tous les cavaliers voyageurs ne se muent pas en centaures. C’est une voie possible, cependant. Deux facteurs concourent. Le premier tient à la lenteur, aux heures en selle et à la vie commune qui, forcément, contribuent à une grande proximité entre le cheval et son cavalier. Le second tient à une quête personnelle. Il peut y avoir bien des raisons de voyager à cheval. L’une d’entre elles est de pénétrer plus profondément dans l’intimité de ce que j’appelle « l’être cheval ». C’est cette quête qui, sans nul doute, conduit vers la « centaurisation » : le cavalier tend vers elle à mesure qu’il approfondit cette relation étroite avec son partenaire cheval.

Comment avez-vous découvert la race akhal-téké pour la première fois ?
Dans les encyclopédies, puis en 2005, j’ai trouvé par hasard mon étalon, Abdoula Khan. J’ai ensuite accueilli cinq autres akhal-tékés. L’akhal-téké, outre sa robe aux reflets métalliques, est sans doute le plus ancien des chevaux de sang : il est le coursier d’Asie centrale, qui pourvoyait les armées scythes, perses et massagètes. On reconnaît en lui un cheval attachant et intelligent, avec un potentiel sportif et relativement facile à travailler. La relation que j’entretiens avec mes akhal-tékés est la même qu’avec mes autres chevaux ! Comme dirait un ami turkmène : « Je les aime tous, mais il y en a un que j’aime plus encore. » Pour moi, il s’agit d’Abdoula Khan. C’est avec lui que je voyage en France et que je travaille en dressage.

Dans quelle direction votre parcours de cavalière vous mène-t-il ?
À mesure que la pratique équestre s’approfondit, le cheval ouvre de nouvelles portes sur le monde. Je voyage pour rencontrer des éleveurs d’akhal-tékés du monde entier, et je me rends fréquemment en Iran, en Russie et en Asie centrale. En parallèle, je perfectionne ma pratique de l’équitation, essentiellement avec des maîtres d’inspiration bauchériste, car les découvertes de Baucher me semblent des clés utiles pour atteindre la légèreté. Comme ce sont souvent des cavaliers de spectacle qui ont recueilli cet héritage, j’en croise et j’en fréquente de plus en plus. Vivre avec les chevaux, essayer de respecter au plus près leur éthogramme, en leur offrant une vie au pré, en troupeau, les travailler dès leur naissance jusqu’à un certain niveau de dressage, pouvoir sauter un tronc en forêt, faire un bel appuyer ou encore suivre une chasse à courre… Il n’y a pas une direction, mais toujours cette quête de perfection sans fin.

Quelle est votre référence littéraire de prédilection sur le voyage à cheval ?
Sur le cheval, il y a les grands maîtres, et en particulier Étienne Beudant : il ne s’est pas illustré dans la littérature, mais plutôt dans des traités d’équitation. En matière de littérature, Milady de Paul Morand est sans doute le livre qui m’a le plus marquée, mais j’ai aussi aimé Le Cheval de Tolstoï ou Arabian Godolphin d’Eugène Sue. En fait, je ne peux pas dire que j’ai une référence de prédilection, parce qu’il s’agit plutôt d’une constellation de mythes, de fragments d’histoire et de savoirs techniques, qui se compose au fil du temps. Dans notre culture, le cheval est partout, de façon directe ou diffuse. En particulier dans les mythes archaïques, où il délimite le monde chtonien et l’éther, le rouge et le bleu et, dans une certaine mesure, le bien et le mal. Mais curieusement, dans la modernité, un peintre comme Picasso nous en dit plus sur cette opposition que la littérature.
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