Interviews


Méharée dans le massif dunaire de Ouarâne – Nord-Est (Mauritanie)
Année 2007
© Witold Kubek/France 5

Régis Belleville – Par soif du désert
propos recueillis par Matthieu Delaunay

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Comment passe-t-on de la Bourgogne au Sahara ?
Lorsque j’avais 8 ans, mon père était coopérant en Algérie. Quand les gens passaient en France des vacances aux sports d’hiver, moi, j’étais dans le désert à ramasser des roses des sables. C’est sans doute à cette période que j’ai été attiré par cette région du monde. À partir de 1987, j’ai voyagé en Afrique et traversé le Sahara à de nombreuses reprises. À 30 ans, j’ai voulu me confronter à ce territoire hostile mais pour ça, il fallait que je me forme d’abord au métier de chamelier.

En quoi est-ce une clé d’accès au désert ? Où vous êtes-vous formé ?
C’est d’abord et surtout une nécessité pour survivre dans ces terrains hostiles. Il a fallu que j’apprenne avec de nombreuses tribus nomades (Touaregs, Toubous) qui ont des techniques de dressage différentes, propres à chaque région. J’ai ensuite parfait cette formation dans des unités militaires méharistes sahariennes qui m’ont initié aux techniques de survie et de furtivité, une formation essentielle parce que ce sont des régions compliquées géographiquement, où une paire de baskets peut suffire à justifier une attaque. L’expérience et la précision y sont indispensables.

Pourquoi partir seul dans ces territoires difficiles ?
J’ai besoin d’être seul. J’ai une vie familiale qui me donne un équilibre réel mais j’ai soif de solitude. Elle n’est pas totale puisque je suis souvent avec des dromadaires. Ce n’est pas rien comme présence… Seul dans le désert, je suis souvent proche d’une certaine confusion mentale qui me donne la possibilité d’interpréter mes réactions et de me découvrir. Cette solitude est essentielle pour moi puisqu’elle me permet d’apprendre à gérer une situation de stress important qui peut transformer un simple imprévu en un danger potentiel.

Qu’allez-vous chercher dans ces dunes ?
Ce qui m’intéresse en premier lieu dans le Sahara, ce sont les zones hyperarides qu’il abrite. Très souvent, elles sont inaccessibles et pour y aller il faut déployer beaucoup d’efforts. L’intérêt est aussi scientifique : j’aime jouer le rôle de technicien de laboratoire sur le terrain. Aujourd’hui « marcher pour marcher » ne m’intéresse plus, j’ai besoin d’un but. Enfin, j’aime être confronté à mes failles physiques et psychologiques, cela me pousse à puiser des ressources insoupçonnées pour survivre.

Êtes-vous particulièrement inspiré par un auteur ?
Théodore Monod, sans hésitation. Il faut lire Méharées et L’Émeraude des Garamantes. C’est un auteur fabuleux pour son côté scientifique et parce qu’il s’intéresse moins aux gens qu’au désert lui-même. Et puis c’est le seul à décrire le désert de façon positive. En pleine époque coloniale, on n’en parlait qu’en termes aventureux, conquérants ou en relatant de grandes batailles. Ce qui m’a inspiré, c’est qu’il apporte un regard vrai parce que loin de la pollution humaine, un regard de scientifique loin des stéréotypes. C’est une personnalité incontournable pour la compréhension du Sahara, un précurseur.
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