Catherine Domain décide, après avoir multiplié les voyages à travers le monde, d’atterrir à Paris pour partager à travers les livres son amour des terres lointaines.

« There they are ! » Catherine Domain se souviendra toute sa vie de cette immense rumeur montant de la foule qui attendait, près de San Francisco, les quatre cents jeunes venus de toute l’Europe, titulaires d’une bourse d’études « American field service ». Sa vie itinérante a débuté là : elle venait de passer son baccalauréat et laissait derrière elle dix années de pensionnat. À son retour, elle s’inscrit dans une école d’interprètes et, répondant à l’appel du large, continue à voyager dix années durant. Elle fait le tour de la Méditerranée, parcourt l’Asie en minibus, sillonne l’Amérique. Elle s’arrête au Venezuela, à Curação, à Porto Rico, à Saint-Domingue, à Veracruz. « J’étais la fille de Christophe Colomb », s’exclame-t-elle dans un élan d’enthousiasme. Mais la voie de l’interprétariat ne semble pas faite pour elle. Le vent la ramène vers la France, où elle doit songer à trouver un travail. « Si tu vis à Paris, il faut que tu habites dans l’île Saint-Louis », lui conseille une amie. Et les choses se sont déroulées ainsi.
La grande voyageuse jette l’ancre au cœur de la capitale. En regardant la Seine, toutefois, elle pense à la mer qui est à l’autre bout ; et elle rêve encore d’horizons lointains. Elle se laisse alors tenter par l’invitation d’un ami qui s’apprête à faire le tour du monde, ou plutôt des îles. Au Sri Lanka, une idée commence à germer en elle : pourquoi ne pas créer une librairie de voyage ? D’ailleurs, toutes ses grandes décisions, Catherine Domain les a prises sur des îles : « Ne sommes-nous pas nous-même une île ? Comme ces bouts de terre isolés au milieu des mers, nous sommes limités, perdus dans l’univers ! » Après le Sri Lanka, ce fut Bali, l’île de beauté par excellence. Puis les Caraïbes, et de nombreuses îles du Pacifique, notamment la Nouvelle-Guinée, l’Australie, la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides, les Fidji, les Tonga et les Samoa. Elle conserve comme une relique le billet de ce voyage au long cours, qui prend place en vitrine de la librairie qu’elle ouvre à son retour, en 1971, sur l’île Saint-Louis. Riche de 30 000 ouvrages et de nombreuses cartes, elle est, selon les propres termes de sa fondatrice, « la plus ancienne librairie de voyage au monde ». Avec Hugo Verlomme, auteur d’un Guide du voyage en cargo, elle a créé en 1993 le Cargo Club qui se réunit, devant la librairie, chaque premier mercredi du mois, lorsque le temps le permet. Tous les habitants de l’île Saint-Louis y sont les bienvenus pour écouter de belles histoires hauturières. Ils se retrouvent aussi dans le Club Ulysse des petites îles du monde, fondé par la libraire en l’an 2000. Pour en faire partie, il faut précisément résider dans une « petite île », qui possède moins de trois mille habitants et dont on peut faire le tour à pied en moins de vingt-quatre heures. Sur les registres, une trentaine de Ludoviciens (résidents de l’île Saint-Louis) côtoient des habitants de l’île de Ré, de Marettimo (mer Tyrrhénienne), de Céphalonie (mer Ionienne), des îles aux Princes (mer de Marmara), de l’île des Sœurs (Saint-Laurent), de l’île de Pâques, etc. Tous ces insulaires du bout du monde savent qu’ils ont un port d’attache sur une île parisienne, au n° 26 de la rue Saint-Louis-en-l’Île, au milieu d’ouvrages qui leur renvoient leur image. « Chaque livre est en effet lui-même une île, parce qu’il est unique et fragile », conclut la libraire. Une belle harmonie, que le cri des mouettes sur la Seine vient à peine troubler.
Librairie Ulysse
26, rue Saint-Louis-en-l’Île
75004 Paris
tél. 01 43 25 17 35
fax 01 43 29 52 10
e-mail ulysse@ulysse.fr
site www.ulysse.fr

Portrait rédigé par : Gaële de La Brosse
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