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Chamanes, Tsaatanes et lac Khövsgöl, en Mongolie
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le jeudi 5 novembre 2009 à 20 heures 30


Spiritualité centrée sur la médiation entre les êtres humains et les esprits de la surnature, le chamanisme, qui recoupe tant les pratiques ancestrales des Toungouses que celles de citadins européens, prend sa source dans les sociétés traditionnelles sibériennes. Cette médiation a une fonction économique au sein de la communauté : elle permet à ses membres de faire face aux aléas de l’existence par un échange avec les esprits, lors de la transe. Religion, magie, savoir-faire procédant d’une disposition individuelle, pratique culturelle ou simple thérapie, la nature du chamanisme est complexe. Il implique en tout cas une représentation dualiste de la personne et du monde. L’être humain se compose de deux entités, son corps et son âme invisible qui survit à la mort.
Par ailleurs, deux mondes coexistent : l’un est visible, quotidien, profane, et l’autre, appelé « monde-autre » ou « surnature » est celui des dieux, des esprits, des ancêtres et des morts. Désignés et élus par ce dernier lors de la survenance d’une « maladie initiatique », les chamanes peuvent communiquer avec lui de façon privilégiée : ils disposent de la capacité de le voir et de le connaître, alors que les autres hommes ne font que le pressentir et le subir.
En premier lieu émerge un chamanisme de chasse dont le but est de prévoir le déplacement du gibier. Le chamane épouse la fille d’un esprit donneur de gibier qui lui fournira l’aide des esprits auxiliaires. Cette coopération suppose une contrepartie venant des chasseurs : leur esprit est dévoré et ce phénomène entraîne maladies et mort. Le rôle crucial du chamane est donc de retarder la survenance de cette contrepartie. Cette forme de spiritualité a peu à peu évolué en chamanisme d’élevage selon lequel la survie de la communauté ne dépend plus de l’esprit des animaux, mais de ceux des ancêtres. Ces deux formes ont en commun le rôle central du chamane et impliquent une personnalisation importante des cérémonies qui n’obéissent pas à une liturgie particulière. Le tambour est néanmoins l’instrument indispensable de tout chamane puisqu’il est un support et un lieu de rassemblement pour les esprits.
L’institution chamanique a très vite largement dépassé la région sibérienne. On observe des pratiques analogues chez de nombreux peuples, à commencer par les Mongols, qui seraient tous originaires de Sibérie, mais aussi au Népal, en Chine, au Japon, en Corée, chez les Indiens d’Amérique du Nord, en Afrique, chez les Aborigènes d’Australie et les Amérindiens d’Amérique latine. Depuis plusieurs années, on assiste à l’émergence d’un néochamanisme en Occident, dans le sillage des mouvements du New Age, avec la publication en 1965 de L’Herbe du diable et la petite fumée de Carlos Castaneda. Le chamanisme sibérien et le néochamanisme comportent de nombreuses différences, à commencer par l’environnement naturel, sans parler de l’aspect souvent commercial et des pratiques que les Occidentaux ont adaptées pour en faire une méthode de développement personnel. Le chamanisme séduit par son absence de dogme. Ce nouvel essor se vérifie également en Orient, notamment en Mongolie. En effet, depuis la chute du bloc soviétique et la fin de son idéologie fortement athéiste, les Mongols redécouvrent avec enthousiasme leurs croyances et leurs traditions et profitent du nouvel engouement pour le chamanisme dans le monde.


L’anthropologue Lætitia Merli, qui étudie le néochamanisme mongol et sibérien, a longuement séjourné sur les rives du lac Khövsgöl, au nord de la Mongolie. Dans la taïga à l’ouest de ce lac nomadisent encore quelques dizaines de familles d’éleveurs de rennes, les Tsaatanes. Cette population, qui relève de l’ethnie turcophone des Touvines, doit la préservation de son identité culturelle à l’isolement des campements et à leur autosuffisance fondée sur la domestication du renne. Les migrations et les campements saisonniers où l’habitat est constitué d’urts – l’équivalent des tipis amérindiens – ne varient pas d’une année sur l’autre. Quelque quarante familles vivent avec 800 rennes dans la taïga. En hiver, le troupeau trouve sous la neige les lichens dont il se nourrit. Au printemps, les familles descendent : c’est le temps des pousses d’herbe précoce et de la mise bas. En juillet, à la saison des pluies, fuyant mouches et moustiques, les Tsaatanes regagnent l’alpage où les mousses abondent pour leur cheptel. En automne, ils quittent les pâturages pour redescendre dans la forêt riche en lichens et en champignons : c’est la période du rut.
Reconnue par les Mongols, mais aussi consultée par les Occidentaux qui, depuis l’ouverture du pays au tourisme à partir de la fin des années 1990, sont fascinés par les Tsaatanes, la chamane Enkhetuya délaisse la forêt pour s’installer l’été sur la rive du lac, où son campement familial est accessible en voiture. Témoin de ce nouveau mode de vie selon lequel les transhumances se font désormais en partie en fonction de l’affluence touristique, Lætitia Merli montre l’impact croissant du tourisme sur ces populations traditionnelles. Elles adaptent en effet leur mode de vie aux demandes des agences de voyages et à cette manne économique. Les rencontres avec les visiteurs sont minutées, la prise de photos est monnayée et les rituels initiatiques deviennent des attractions. Le documentaire Shaman Tour (FAG Prod/Les Ateliers du doc/CNRS Images, 2009) met en évidence la contradiction qui existe entre la préservation d’une culture qui rend ces peuples attirants et leur volonté d’émancipation et de développement économique.





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