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Peindre les Amérindiens
par Antoine Tzapoff
le mercredi 5 décembre 2007 à 20 heures 30
En partenariat avec le magazine Animan



Les Amériques sont le dernier continent peuplé par l’homme. À l’échelle de l’histoire de l’humanité, son arrivée y est extrêmement tardive. Si les premières traces de l’Homo erectus en Afrique remontent à 3 millions d’années et celles de l’Homo sapiens en Afrique et en Europe à 150 000 ans, l’immigration américaine est bien plus récente, variant selon les experts entre 40 000 et 15 000 ans, et aurait une origine allogène. Les Indiens d’Amérique seraient venus de Sibérie, en profitant d’une période de glaciation pour franchir à pied le détroit de Béring et atteindre l’Alaska. Mais les immenses calottes glaciaires du Canada bloquant l’avance des Paléo-Indiens, ils attendirent le dégel, vers 13 000 avant notre ère, pour suivre la côte Ouest, le long des Rocheuses, et investir les plaines nord-américaines. Puis ces bandes se dirigèrent vers l’Amérique du Sud pour atteindre la partie australe du continent, vers 11 000 avant J.-C. En seulement quelques milliers d’années, l’homme marque de son empreinte l’ensemble du Nouveau Monde.
Des civilisations se développent, notamment olmèque, zapotèque et maya au Mexique, et chavin en Amérique du Sud, qui érigent des cités comme Teotihuacán, Tikal ou Chanchán. Ces empires connaissent des densités de population élevées : elle est par exemple de 50 hab/km2 sur le plateau d’Anáhuac au Mexique. Toutefois, le nomadisme reste répandu. La chasse, la pêche et la cueillette conditionnant les déplacements au gré du gibier et des saisons, les tribus vivent isolées. Cette errance est l’une des raisons de la diversité exceptionnelle des peuples indiens : sur les seules étendues nord-américaines, on a recensé près d’un millier de langues, réparties en trente familles linguistisques. Avant l’arrivée des Européens, le continent compte environ 5 millions d’habitants, dont 2 pour le seul Mexique et 1 au Pérou. Toutefois, les Amérindiens ne peuvent résister aux envahisseurs européens, qu’ils soient des conquistadors espagnols ou des colons yankees. En effet, les étendues d’eau qui séparent les Amériques du reste du monde et la submersion du détroit de Béring les incitent à croire qu’ils sont les seuls êtres au monde, conviction qui facilite la progression des Conquistadors au XVIe siècle, souvent assimilés à des dieux vivants. En outre, sur le plan technologique, s’ils maîtrisent l’irrigation et la métallurgie du cuivre, de l’or et de l’argent – mais ignorent les alliages –, ils ne connaissent ni l’écriture alphabétique ni la roue, ce qui met en évidence leur immense décalage par rapport à l’Europe de la Renaissance, ni bien sûr la télégraphie, la poudre et les fusils, qui décuplent leur retard sur les techniques de l’Europe industrielle. La dépendance des Indiens à l’égard des technologies occidentales commence avec le cheval. Dès 1680, après la révolte indienne du Río Grande, des Espagnols de Santa Fe laissent s’égailler des chevaux que leurs rivaux apprennent à utiliser comme animaux de bât en place des chiens puis à monter. Avec l’établissement des premiers forts militaires et points de commerce, vers 1820-1830, apparaît le besoin de fusils et de couvertures, pour le prestige d’abord. Vont surgir aussi nombre d’épidémies. Les grandes dates de capitulation de l’homme rouge sont la reddition de Geronimo en 1886, la mort dans le Nevada du dernier Indien, un Shoshone, en parure de plumes d’aigle en 1911 et 1932 où sont abattus dans la Sierra Madre les ultimes rebelles à l’ordre de l’homme blanc, l’Apache Big Foot et six de ses hommes.


Dès son plus jeune âge, à 4 ans déjà, Antoine Tzapoff se met à dessiner les Indiens d’Amérique. Il appartient à la dernière génération dont l’enfance rêvait à l’ancien Ouest américain et se souvient : « Panoplies, illustrés, films, les Indiens étaient partout présents. Ils représentaient alors la liberté en lutte avec les contraintes et l’autorité de la civilisation. » Ce n’est toutefois qu’à 27 ans, après la réalisation de nombreuses œuvres cinétiques pour le compte de Victor Vasarely, qu’il s’oriente vers sa seule passion, la représentation des peuples d’avant le contact avec l’Occident. Dans cet art qui magnifie l’individu, sa parure, son costume et ses rites, le peintre figuratif excelle. Toutefois, c’est avec la représentation des Indiens d’Amérique qu’il va se faire connaître, notamment à travers ses expositions à la galerie Blondel. En 1981, la célèbre actrice mexicaine Maria Felíx, devenue sa mécène, le promeut au Mexique, où ses toiles connaissent un immense succès. Le décès de son amie en 2002 verra Antoine Tzapoff s’en revenir à Paris. Collectionneur d’objets ethnographiques, grand visiteur de musées de par le vaste monde, lecteur assidu des catalogues d’exposition, le peintre connaît tout des personnages qu’il représente : la composition des éléments de leur parure – pigments, matériaux, techniques de couture ou de tissage –, le milieu dans lequel ils évoluaient, le contexte historique dans lequel ils s’inscrivaient, leurs rites de passage et rituels de guerre. Chaque portrait, composé de manière fort rigoureuse, fait d’éléments connus de la tribu amérindienne concernée, est une micro-histoire qui, dans sa pose hiératique, vise à représenter le sujet à l’apogée de son identité. Chasseur yupik, de la mer de Béring, à l’armure télescopique pour mieux prendre la fuite, Iroquois porteur de terrifiantes mains rouges imprimées sur le visage, Indien des Plaines tout emplumé à cheval, femme winnebago au bain, coureur tarahumara du Mexique… cela fait maintenant trente ans qu’Antoine Tzapoff fait revivre, pour le plus grand bonheur des américanistes, l’apogée des peuples amérindiens. À travers son œuvre, c’est toute la puissance et l’extrême diversité des cultures indiennes qui se révèlent. Et, selon ses propres termes, ses « peintures constituent donc un hommage à cette race vaincue et un regard admiratif sur leur résistance ».





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