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Magellan et l’image du monde
par
le mercredi 7 novembre 2007 à 20 heures 30
En partenariat avec les Éditions Chandeigne



Le voyage de Magellan a été la plus fascinante des aventures maritimes. Il dura près de trois ans avant que la Victoria, seul rescapé des 5 navires qui étaient partis le 20 septembre de Sanlúcar de Barrameda, ne revienne jeter l’ancre le 6 septembre 1522. Sur les 237 marins embarqués, 90 revinrent vivants : 55 sur le San Antonio, qui déserta dans le fameux détroit, et 35 qui firent effectivement le tour du monde : les 30 de la Victoria (18 revenus le 6 septembre et les 12 retenus quelques semaines aux îles du Cap-Vert) et 5 de la Trinidad, revenus en Europe en 1526 ; les autres moururent en route ou disparurent dans les îles de l’Extrême-Orient.
Le Portugais Magellan avait proposé en 1518 au jeune Charles Ier d’Espagne, le futur Charles Quint, de rejoindre par l’ouest les Moluques, petites îles aujourd’hui indonésiennes qui étaient à l’époque les productrices exclusives du girofle et de la muscade. Il les supposait situées dans l’hémisphère que le traité de Tordesillas avait réservé à l’Espagne et devait revenir par la même voie. Il n’a jamais projeté de faire un tour du monde. Son décès prématuré, le 27 avril 1521 sur l’île de Mactan aux Philippines, ne lui permettra pas de le réaliser. L’ancien mutin Juan Sebastián Elcano en recevra les honneurs au retour à Séville de la Victoria, seul navire rescapé. L’exploit du navigateur est d’avoir résisté à ses hommes et aux éléments pour découvrir le détroit sud-américain, qui portera son nom, et d’avoir traversé pour la première fois le Pacifique. Ce faisant, il n’a pas voulu prouver que la Terre était ronde – connaissance acquise depuis les Grecs et que l’Église n’a jamais niée –, mais il a montré qu’elle était circumnavigable, ce qui n’était pas certain.
La traversée du Pacifique fut très longue et éprouvante : plus de trois mois sans toucher terre. La surprise de Magellan ne fut pas de découvrir un océan aussi vaste, car il avait presque parfaitement estimé la distance jusqu’aux Moluques, mais de naviguer sur une mer déserte. Par chance, le nombre des décès fut étonnamment faible, sans doute grâce à la consommation et à la mise en conserve dans le détroit de Magellan de céleri sauvage, qui se révélera un puissant antiscorbutique. Parvenu aux Mariannes, puis aux Philippines, Magellan surprend alors par son comportement : au lieu de se diriger droit sur les Moluques, comme les instructions royales le stipulaient, il remonte vers le nord, erre d’île en île, et désobéit une nouvelle fois aux instructions royales en combattant des indigènes. Dans cet épisode, il trouve une mort que l’on qualifierait aujourd’hui d’« idiote ». Mais ne l’a-t-il pas provoquée sciemment ? A-t-il compris à ce moment qu’il n’était déjà plus dans l’hémisphère espagnol, comme les mesures du journal du Albo – manuscrit qui ne fut retrouvé et édité qu’au XIXe siècle – l’indiquent clairement : en ce cas, constatant que son voyage était un échec, il ne pouvait rentrer ni à Lisbonne, où il était un « traître », ni à Séville après avoir maté dans le sang des fidalgos espagnols une mutinerie sur la côte patagonique. Dans ces circonstances, la folle expédition de Mactan ressemble fort à un acte manqué. Il y a d’autres hypothèses. Il pouvait simplement chercher à affermir les liens politiques avec les souverains de la région et, après le passage du détroit et la traversée du Pacifique, qui songerait à lui reprocher un soudain manque de lucidité ? Ou simplement voulait-il soumettre au roi d’Espagne des royaumes vassaux qui lui auraient assuré, à lui et à sa descendance, des rentes perpétuelles, comme le contrat établi avec le roi le stipulait aussi ? Quoi qu’il en soit, la confrontation des sources et des commentaires se révèle passionnante sur cette question cruciale qui reste ouverte avec de nombreuses autres. L’ouvrage désormais de référence des éditions Chandeigne n’en élude aucune, et cette conférence, qui survient au moment de la sortie du livre en librairie, permettra, cartes à l’appui, d’aborder la plupart d’entre elles.


Codirecteur de la collection « Magellane », avec Anne Lima qui dirige la maison d’édition, Michel Chandeigne (sous le pseudonyme de Xavier de Castro) rêvait depuis longtemps de rassembler toutes les sources du voyage de Magellan. Il pensa d’abord qu’il suffirait de lire les meilleurs travaux établis en toutes les langues et d’en établir une édition française accompagnée d’une édition critique de la relation de Pigafetta, le meilleur chroniqueur de cette circumnavigation fortuite… Mais en approfondissant le sujet avec Jocelyne Hamon, hispaniste, et l’historien portugais Luís Filipe Thomaz, force lui fut de constater que les sources étaient très éparses, souvent mal éditées, avec nombre d’erreurs relayées de livre en livre dans l’appareil critique et les commentaires… Il était urgent de revenir aux sources, et de relativiser nombre de récits et de chroniques très postérieures. C’est pourquoi, afin de célébrer le quinzième anniversaire de la « Magellane », les Éditions Chandeigne réunissent pour la première fois au monde l’ensemble des sources narratives et cartographiques directes de l’époque. Cette œuvre monumentale de 1 088 pages a requis cinq ans de travail acharné.
Pigafetta laissa certes le récit le plus complet et littérairement le plus passionnant. On en connaît quatre versions manuscrites contemporaines, dont trois en français et la dernière en italien. Mais la narration de l’Italien est souvent éclairée ou complété par les autres sources. Une bonne dizaine de compagnons de Magellan ont laissé des récits, des lettres ou des procès-verbaux à leur retour. Il faut y ajouter les premières relations imprimées de Maximilien Transylvain (1523) et de Pietro Martire d’Anghiera (1530), rarement lues mais indispensables, car elles ont été toutes deux écrites au retour de la Victoria et transcrivent ce que les marins leur avaient raconté. Ces récits de première main ne sont cependant pas toujours authentiques de bout en bout. Ainsi Pigafetta, après trois ans de périple, ne se souvient plus de nombreux lieux et va puiser dans des livres ou manuscrits plus anciens. Par exemple, au Brésil, étant sensible aux langues comme aux mots (surtout ceux de la sexualité), il avait dressé un petit vocabulaire indien : parmi les dix mots dont il se souvient, dont hamac, un seul est local, d’origine tupi, tous les autres sont taïno, des Antilles donc, et c’est un emprunt flagrant à la chronique d’Anghiera parue en 1516. On a aussi souvent soutenu qu’il fut le premier à parler des grelots péniens, mais Nicolò de’ Conti en parlait déjà un siècle plus tôt, et cette pratique se situait en des pays que Pigafetta n’a jamais abordés (Birmanie, Siam, Sumatra, Java). Cependant, à part ces erreurs, qui sont systématiquement relevées, les témoignages sur ce voyage demeurent d’extraordinaires documents maritimes, géographiques, ethnographiques, mais surtout humains ; ils témoignent d’un monde qui ne sera jamais plus le même et entame le long processus d’uniformisation que nous appelons aujourd’hui mondialisation.




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Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Le Voyage de Magellan (1519-1522), La relation d’Antonio Pigafetta et autres témoignages


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