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Robert Hainard, un artiste animalier à travers l’Europe sauvage
par Stéphan Carbonnaux
le jeudi 1 mars 2007 à 20 heures 30


Qui était cet artiste au trait cousin de celui des artistes de Lascaux, d’Altamira ou du Pont-d’Arc ? Qui était cet homme casanier et pourtant grand voyageur par nécessité ? Sait-on que ce grand-père de la mammalogie a « inventé » l’affût moderne des bêtes sauvages ? Qu’il est un des précurseurs des réintroductions d’animaux sauvages en Europe ? Sait-on combien son observation et son contact permanent avec la nature ont nourri une pensée des plus visionnaires et des plus fécondes ? Qui était Robert Hainard ?
Il y a cent ans, à Genève, le 11 septembre 1906, chez un couple de peintres influencés par l’impressionnisme et les idées libertaires, naissait Robert Hainard, un enfant de la ville aux origines jurassiennes, qui allait révolutionner en Europe notre rapport avec la nature sauvage. Une révolution au sens étymologique, plongeant ses racines dans notre histoire la plus enfouie, la plus paléolithique.
Le sauvage ? C’est le renard et le blaireau qui sortent à la nuit des entrailles de la terre, l’aigle ou l’hirondelle qui jouent dans le vent, le fleuve qui coule libre, la forêt altière, immense, vierge, sans trace du forestier ; la nature sauvage, c’est tout ce que nous ne contrôlons pas, qui vit malgré nous, c’est l’autre le plus absolu à nos côtés, le plus irréductible, celle que nous nous échinons à maîtriser, à détruire mais celle dont nous avons le plus grand besoin, autant physique que psychique.
Robert, qui a naturellement appris à dessiner et à modeler (comme on apprend à parler ou marcher), s’est inscrit aux Beaux-Arts et aux Arts industriels où enseigne son père, Philippe Hainard, qui a formé son fils après l’avoir sorti prématurément de l’école, ce « Moloch niveleur » d’enfants. Comme ces jeunes filles qui posent ennuient vite le jeune artiste, depuis peu irrésistiblement attiré, et non moins mystérieusement (personne dans la famille et les proches ne s’y intéresse), par les bêtes sauvages, d’abord les oiseaux du Léman puis les mammifères, découverts dans les montagnes du Valais et du Jura. Le soir, de sa chambre, Robert rêve de sangliers, de blaireaux éclairés par la lune qui le fascine. Robert le sculpteur, devenu aussi graveur sur bois par attirance pour l’estampe japonaise, s’est uni un jour de mai 1929 avec une Valaisanne racée, artiste tout comme lui, Germaine Roten, qu’il avait repérée le premier jour de son arrivée au cours de figure. Mais à peine marié, Robert a déjà une maîtresse : la lune, fréquentée lorsqu’elle est pleine, la lune qui offre de subtiles lumières pour le chasseur au crayon couché à même le sol dans son duvet ou perché dans un arbre. Chasseur ? Oui, car Robert sent puissamment en lui un instinct de chasse, de capture qu’il transpose dans l’art, au moyen de ses seuls crayons et outils.
Immédiatement, ses œuvres rencontrent le succès auprès du public, on évoque le Français Pompon, rendu célèbre pas sa sculpture d’ours blanc, mais aussi les artistes d’Altamira qui peignaient des bisons au plafond de leur grotte il y a quatorze mille ans. Habité du désir ardent de reconstituer le grand bestiaire européen, Robert le casanier sait qu’il devra voyager, et loin. La Suisse a presque éradiqué toute sa grande faune sauvage, les loutres qu’il piste avec son ami Maurice Blanchet au bord du Rhône par de glaciales nuits d’hiver disparaissent, le gypaète est quasiment éteint dans les Alpes, le moindre loup est pourchassé sans répit. Les voyages exploratoires s’enchaînent, en France d’abord, sous la conduite du Suisse Olivier Meylan, un paysan-ornithologue hors du commun, en Maurienne, en Bourgogne, sur les plateaux cévenols, sur les îles de Riou et de Port-Cros, en Corse, toujours à pied, à la recherche des ultimes vautours, d’un hibou grand-duc pas encore persécuté, d’un chat sauvage ou d’un gypaète.
Et Robert rêve d’ours ! La venue du roi Boris III de Bulgarie à Genève lui ouvre les portes d’un monde fabuleux au printemps de 1938 avant que la guerre, toute proche, ne réduise ses projets à néant. La rencontre avec l’exceptionnel souverain bulgare, sa rupture avec le progressisme de son père, ses propres observations du monde le conduisent à publier en plein conflit mondial un essai parfaitement visionnaire, Et la nature ?. La paix revenue, et jusqu’à la fin de sa vie, Robert reprend ses voyages (« Je voyage dans le temps beaucoup plus que dans l’espace », dit-il avec raison), souvent seul, ou avec son indéfectible ami Jacques Burnier ou des amis suisses et français, en Tchécoslovaquie où le loup fait face au cerf, chez les Lapons nomades, dans les Pyrénées en quête de gypaète, en Yougoslavie à l’invitation des proches de Tito, à l’affût des ours, loups et lynx, en Andalousie aux confins du Guadalquivir, au pays des bisons polonais, dans les Alpilles, au cœur des forêts bourguignonnes truffées de sangliers, en Angleterre, en Écosse, en Grèce ou encore dans le nord-ouest de l’Espagne. Mais c’est en Suisse, grâce à son ami l’artiste Jacques Rime, qu’il verra enfin, au terme d’une quête de cinquante ans, son premier lynx boréal.
Au terme de soixante ans de chasse au crayon à travers l’Europe sauvage, Robert Hainard, artiste complet, a tout dessiné, de l’escargot au nuage, de l’homme à l’ours (« Le mammifère que j’ai le plus dessiné, c’est encore l’homme », en l’occurrence, sa femme Germaine) et laisse une œuvre immense : des dizaines de milliers de croquis et d’aquarelles, près de mille gravures, des centaines de sculptures de toutes dimensions, en bois, en plâtre, en pierre et en bronze, des céramiques, de nombreux livres d’art, des récits, quatre essais philosophiques et des centaines d’articles parus dans les supports de presse les plus divers.
Robert Hainard est un homme très ancien et très nouveau. À chacun de s’emparer de celui qui se considérait comme un « instrument » au service de la réconciliation de l’homme et de la nature.


Dès l’âge de 11 ans, Stéphan Carbonnaux a été ébloui par les croquis de Robert Hainard, qu’il reproduisait dans ses cahiers. C’est ce même Hainard, grâce à la lecture des Mammifères sauvages d’Europe, qui lui ouvre à 18 ans les portes d’un monde méconnu. Transporté par ses portraits de bêtes, le jeune adulte rêve d’ours, de loups, de loutres et de ces pays qui lui paraissent si proches et lointains : la Roumanie, la Yougoslavie et la Bulgarie.
La lecture du Monde plein, dernier essai de Robert Hainard en 1991, le touche encore plus profondément. Entre 1991 et 1992, il se rend trois fois en Roumanie (Banat, Transylvanie, Bucovine et Maramures), vivant au contact permanent des Roumains et s’imprégnant de la grande nature sauvage. L’éditeur Jacques Hesse, à qui il donne à lire un article écrit en hommage à Robert Hainard, accepte sa proposition d’ouvrage : Le Cercle rouge, Voyages naturalistes de Robert Hainard dans les Pyrénées paraît en 2002.
Depuis cette date, la biographie de Robert Hainard est en germe. Stéphan Carbonnaux multiplie les affûts dans les Pyrénées et en Espagne, aux ours, loups, loutres, etc., et travaille intensément durant presque deux ans, allant jusqu’à séjourner trois mois en Suisse et à correspondre avec des dizaines de personnes. Il a également séjourné en Slovénie à l’été 2005 afin de rencontrer un proche ami de Robert Hainard, Andrej Zupancic, de s’imprégner de la grande sylve, d’y dormir seul à la belle étoile et de voir l’ours, ce qui est arrivé magnifiquement. La biographie monumentale paraît aux éditions Hesse en 2006.




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Livre de l’intervenant en rapport avec cette conférence :
Robert Hainard, Chasseur au crayon


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