Olivier Lemire

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Verneuil-sur-Avre – Eure (France)
Année 2010
© Olivier Lemire
Ancien designer, qui a fait des lieux-dits de la campagne française son terrain d’aventure et de découverte.

De miraculeuses métaphores :


« C’était l’été. Je marchais dans la campagne française, happé par la ligne de fuite de l’horizon. Mon corps fonctionnait à merveille, autorisant mon esprit à flotter dans les airs, accompagnant le flux continu des nuées. Je n’étais plus assis dans un TGV à regarder avec lassitude défiler une nature inaccessible : je voyais passer les trains depuis lesquels des cadres fatigués apercevaient ma silhouette à travers les vitres. Je croisai le destin d’hommes et de femmes que je prenais enfin le temps d’écouter. À tous, je réussis à parler sans chercher à séduire, car je n’avais plus rien à vendre. Et parce que je n’avais rien à vendre, je parvenais à écouter. Ce que j’entendis de leur bouche me bouleversa, à cause de la sincérité de ce qu’ils disaient, certes, mais aussi grâce à la faculté nouvelle du marcheur que j’étais d’être ému. Je compris au fil des kilomètres que je ne m’étais jamais rendu compte de la présence des paysans sur leurs terres, et que le paysage que je trouvais si beau était le fruit de leur travail. Je me mis à nourrir une immense gratitude envers ceux qui le façonnaient avec leurs mains et leurs outils. Je leur en faisais part, et ils m’en étaient reconnaissants à leur tour.
Je décidai de consacrer plusieurs mois à d’autres marches entre des lieux dont les toponymes donnaient un sens nouveau au déplacement, par le miracle de la métaphore. Je devenais ainsi un aventurier, certes modeste, mais mon métier consistait dorénavant à mettre un pied devant l’autre. Ces choix représentaient un risque important ; ils portaient en eux une possible mise à nu. N’y a-t-il pas quelque risque à réaliser ses désirs ? Le miroir des salles de bains que je trouvais sur mon chemin ne servait plus à me conforter dans mon ego mais à mieux me connaître. Parce que cet accès à la connaissance de moi-même augmentait mon acuité, je constatai pour la première fois qu’en vieillissant mon visage changeait. Mes désirs se réalisaient, et je commençais à me sentir davantage à ma place. Pourtant, mes traits accusaient une sorte de fatigue, peut-être même un fond de tristesse. Tous les miroirs de mon chemin racontaient la même histoire : je n’avais pas le visage d’un homme heureux.
J’avais entendu parler d’une rivière appelée “Bonheur”. On disait du torrent qu’il prenait sa source sur les hauteurs du Massif central, tout près du mont Aigoual. Ses eaux, paraît-il, étaient fraîches et abondantes. Puisque j’avais été capable d’entendre ce qu’on avait bien voulu me dire sur l’existence humaine en route pour la Mort, je devais être en mesure d’écouter ceux qui me parleraient du bonheur.
Je pris mon sac un matin d’avril, et me mis en chemin vers le Bonheur. »


Extrait de :

L’Esprit du chemin, Voyage aux sources du Bonheur
(p. 13-14, Transboréal, 2011)

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