Alice Plane

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Sur la route de Bachi à Almaty – (Kazakhstan)
Année 2007
© Alice Plane
Diplômée de l’ESSEC, qui suit les négociations sur les questions climatiques. A voyagé en Russie et en Asie centrale.

Partir :


« J’ai quitté Lille au milieu du mois de janvier, un vendredi 13. Ce jour-là, les places d’avion coûtent moins cher : les voyageurs sont superstitieux. Installée dans l’avion qui décolle, je repense, perplexe, à ce qui a pu m’amener, un mois plus tôt, dans une ruelle parisienne, cossue mais déserte, du quartier des Pyramides. L’unique guichet français des Azerbaidjan Airlines n’est que le hall d’entrée d’un immeuble bricolé en agence de voyages louche, dont une employée démodée contrôle les allées et venues. Elle a le flegme peu courtois des cantinières soviétiques, lèvres pincées, pressée d’en finir avec les questions mille fois entendues. “La direction n’accepte plus les chèques” et, comme s’adressant à quelqu’un d’autre, de sa voix traînante : “Les cartes bleues non plus”. Je me résous à lui tendre plusieurs grosses coupures, fruit de mon labeur comme serveuse dans un restaurant. Un avant-goût décalé de ce qui m’attend dans cette vaste étendue coincée entre la Chine, la Russie et l’Europe : l’Asie centrale.
Je termine alors mes études ; on me souhaite beaucoup de réussite et de bonheur, si possible là où je suis née, où j’ai grandi, où je vis. Sauf que pour être heureuse, je le sens, il faut partir. Je suis encore une “jeune” : sans emploi, sans enfant, sans emprunt. Aucune responsabilité qui me retienne suffisamment pour renoncer.
Je pars seule avec un projet en tête : parcourir les routes de la soie, non pour découvrir les tissus précieux et les épices rares, mais pour apprendre la cuisine. Pas la cuisine gastronomique, le raffinement des plats ou leur savante présentation. Non. Ce que je veux apprendre, c’est la cuisine populaire, celle des marmites pour quinze personnes, celle qu’on fait mijoter durant des heures en papotant entre femmes, celle des fours en terre comme celle des plaques électriques. Je ne suis pas une grande cuisinière. C’est à peine si j’emporte quelques recettes typiques de chez moi, carbonade flamande ou endives gratinées, dont je n’aurai jamais l’utilité. En vérité, cette cuisine est un prétexte car je ne recherche ni la délicatesse des mets, ni leur exotisme ; simplement la rencontre.
Je suis une femme. Je ne suis qu’une femme. Là-bas, on dit qu’elles sont soumises, battues ou violentées, qu’elles sont cantonnées chez elles, qu’elles se cachent à l’intérieur. Être une femme deviendra un atout pour les rencontrer. J’irai dans leurs cuisines, cet espace du foyer où elles sont reines, là où elles sont aux commandes et où les hommes ne pénètrent pas.
Tout voyageur dispose de deux biens : l’argent et le temps. Détenant peu du premier, j’exploiterai le second. Je consacrerai un mois à chacun de ces pays aux noms imprononçables, que peu de gens savent placer sur une carte. À travers l’Asie centrale, des rives azerbaïdjanaises de la Caspienne aux déserts de l’Iran, des sommets arides du Tadjikistan aux alpages kirghizes, pour terminer par les steppes du Kazakhstan. »


Extrait de :

À l’auberge de l’Orient, Seule sur les routes d’Asie centrale
(p. 11-12, Transboréal, « Sillages », 2011)

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